Adieu au monde

 

 

Puisque j’ai désir de chanter,

Je ferai un chant de ma peine :

Onc plus je ne servirai femme

En Poitou ni en Limousin.

 

Je m’en vais partir en exil,

En grand peur et péril de guerre

Il me faudra laisser mon fils ;

Ses voisins lui feront du mal.

 

Qu’il m’est pénible de quitter

Poitiers qui fut ma seigneurie !

Je confie à Folcon d’Angers

Tout le domaine et son cousin.

 

Si Folcon d’Angers ne l’assiste,

Et le roi dont je tiens mes terres,

Nombreux seront pour le frapper

Traîtres gascons et angevins.

 

S’il n’est pas prudent et vaillant

Lorsque je vous aurai quittés,

Ceux-ci l’auront vite abattu,

Le voyant si jeune et chétif.

 

Je crie à mon prochain Merci ;

Si j’ai fait mal, qu’il me pardonne

Et j’implore Jésus du Ciel

Et en roman et en latin.

 

J’ai connu prouesse et plaisir,

Mais je renonce à tous les deux,

Et tourne mes pas vers Celui

Qui console tous les pécheurs.

 

On m’a vu bien beau, bien gaillard

Mais Dieu ne l’entend plus ainsi ;

Je ne puis plus porter mon faix

Tant je suis proche de la fin,

 

J’ai laissé tout ce que j’aimais,

Et chevalerie et parade.

Tout est bien, puisque Dieu le veut !

Qu’il me retienne auprès de lui.

 

Mes amis à ma mort je prie

De venir tous me rendre honneur,

Car j’ai connu joie et plaisir

Loin et près, et dans ma maison.

 

Je quitte ainsi joie et plaisir

Et laisse vair et gris et martre.

 

 

 

GUILLAUME DE POITIERS.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie occitane,

choix, traduction et commentaires

par André Berry, Librairie Stock, 1961.

 

 

 

 

 

 

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