À Noémi
Noémi, frais bouton de rose,
Enfin sur mon sein je te pose,
Tu fixes mes regards ravis.
Grâce aux souffrances de ta mère,
Tu boiras à la coupe amère ;
Je te vois, je te tiens, tu vis.
Tu vis !... et le bonheur m’enivre,
Comme s’il était bon de vivre,
Et qu’il fût doux de voir le jour.
Tu vis, et mon âme se noie
Dans des flots d’ineffable joie,
Et n’est plus qu’espoir et qu’amour.
Et toi, sur le courant perfide
Tu vas, confiante et candide.
Lancer ton fragile vaisseau :
Et tu vis, comme dans les langes
L’enfant divin riait aux anges
Veillant autour de son berceau.
Que ton sein doucement soupire !
Que de calme dans ton sourire !
Que d’innocence dans tes yeux !
Vois-tu donc ton ami céleste,
Protégeant ton berceau modeste,
Planer pur et silencieux ?
Sais-tu que ton Dieu te contemple ?
Sais-tu que ton âme est son temple ?
Sais-tu que les cœurs innocents,
Comme toi, savent seuls lui plaire,
Et que d’une main tutélaire
Il bénit les petits enfants ?
Sais-tu répondre à ma pensée,
Qui pour toi, sans être lassée,
Jour et nuit veille sans repos ?
Dans mon âme saurais-tu lire
Qu’il te suffit d’un seul sourire
Pour me faire oublier mes maux ?
Mais non... ton cœur sommeille encore ;
Ignorante comme l’aurore
Qui sème ses fleurs sous les pas
De l’heure dont elle est suivie,
Si tu souris à cette vie,
Enfant, c’est que tu ne sais pas,
Tu ne sais pas que l’existence,
Pour charmer ta crédule enfance,
De roses a paré son seuil,
Et que tes larmes goutte à goutte
Un jour arroseront la route
Qui finira par un cercueil !
Tu ne sais pas, ô petit ange !
Qu’ici tout nous trompe et tout change,
Excepté pleurer et souffrir ;
Et que cette mère fidèle,
Qui te réchauffe sous son aile,
Un jour... tu la verras mourir !
Oui ; ta douce béatitude
Fera place à l’inquiétude.
Et les sanglots soulèveront
Ce sein maintenant si paisible,
Et de la douleur inflexible
La main sillonnera ton front.
Oh ! ne crains pas que je t’éveille :
Sans rêve encor longtemps sommeille ;
Repose en paix auprès de moi.
Ta joie est dans ton ignorance,
Ignore jusqu’à l’espérance,
Et souris sans savoir pourquoi.
Louise GUINARD.
Recueilli dans Femmes-poètes de la France,
anthologie par H. Blanvalet, 1856.