La jeune Catalane

 

ÉLÉGIE

 

 

        SŒUR Camille, recevez-moi ;

Je veux vivre et mourir sous votre sainte loi.

 

Bien jeune et déjà seule, on me nomme Angeline ;

Je pleure mes parents que je n’ai pu sauver,

        Et vous voyez une orpheline

Qui veut gagner le ciel, pour les y retrouver.

 

Esquif abandonné, je préviens le naufrage,

À vos travaux sacrés je me voue à jamais.

Vous semblez redouter ma faiblesse et mon âge ?

        Je suis forte... j’ai du courage :

J’ai vu mourir ma mère, et Gusman que j’aimais.

 

Avril se couronnait de ses fleurs les plus belles,

        Quand ma mère me dit un jour :

Gusman doit aux autels te donner son amour

Lorsque le citronnier prendra ses fleurs nouvelles.

 

Elle ignorait, hélas ! qu’au sein de ces beaux lieux

Un horrible fléau s’amassait sur nos têtes ;

Qu’il allait apparaître au milieu de nos fêtes

Et qu’il devait frapper ceux qu’on aimait le mieux.

 

Quel temps pour votre hymen, dit ma mère alarmée,

Lorsque la piété, la douleur et l’orgueil

Laissent passer la mort en silence et sans deuil,

Lorsque l’église sainte, aux fidèles fermée,

Repousse la prière et même le cercueil.

 

C’en est fait, et la fièvre inégale et brûlante

Dans le même tombeau va nous ensevelir.

Gusman la regardait ; il prend ma main tremblante,

        Et me dit : la vois-tu pâlir ?

 

Le mal l’avait saisie au sein de sa famille,

Et son bras défaillant semblait nous repousser,

Et ses cris répétaient : qu’on éloigne ma fille !

        Je veux mourir sans l’embrasser...!

 

Et moi, près de son lit, d’elle seule occupée,

Profitant du désordre où flottait sa raison,

Sur son front, sur ses mains j’essuyais le poison ;

C’est la première fois que je l’avais trompée.

 

Elle mourut sans moi..... je la vis expirer,

        Et je l’aurais bientôt suivie

Si Gusman ne m’eût dit : tu m’as donné ta vie,

Conserve-la pour moi..... C’était pour le pleurer !...

 

L’indomptable fléau nous atteignit ensemble !

Je m’écriai soudain : mon Dieu, je te bénis,

        Qu’au moins le tombeau nous rassemble !

Mais Dieu ne voulut pas que nous fassions unis.

 

Quand le mal affaibli suspendit mon délire,

Gusman n’était pas là pour mon premier sourire,

Et je demeurai seule en ce lieu de douleurs !

Nos citronniers pourtant avaient repris leurs fleurs.

 

Mon refuge est en vous, dans vos devoirs austères,

Ô vous que ma patrie accueille avec transport ;

Vous qui nous apportez, colombes salutaires,

Le rameau consolant dans l’arche de la mort.

 

Des vierges sur mon front attachez la couronne,

Et que vos saints travaux raniment ma langueur ;

Seulement laissez-moi le nom de ma patronne,

        Qui mit ce dessein dans mon cœur.

 

 

 

Alexandre GUIRAUD.

 

Recueilli dans Tablettes romantiques, 1823.

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net