24 décembre 1926
Il y a aujourd’hui mille neuf cent vingt-six ans que tu naquis.
Ou plutôt aujourd’hui l’humanité naquit à toi.
Comment pouvais-tu naître à une date quelconque, Toi qui étais né depuis toujours !
Tu étais venu à un corps douloureux comme le nôtre pour être plus présent par le sang et la souffrance.
Et ton corps était alors si petit qu’il ne pouvait de toi rien savoir, sinon l’ordre par toi donné de se faire digne de supporter la croix libératrice.
Aujourd’hui tu naquis et ce fut une grande tache de lumière sur le inonde.
Cette date est un bien pour nous autres et nous sentons que quelque chose comme une pulsation de Dieu battit et bat encore périodiquement dans ce jour. Aujourd’hui tout a plus de bonté.
Et nous te sentons venir dans l’aujourd’hui d’alors avec des pas lointains dans le recul des années ; et cet éloignement te fait, pour notre sentiment, plus enfant et plus à nous.
Il y a mille neuf cent vingt-six ans que le monde eut l’extraordinaire bonheur de te savoir.
*
Quelques-uns avaient suivi ton supplice.
La petite Jérusalem, agitée de haillons et de disputes, continuait à picorer ses miettes d’idées, et elle ne sut rien des siècles à venir et de ton avènement dans l’homme.
La petite Jérusalem remuante comme une démangeaison et pouilleuse et crasseuse, durait, jetée au long de ses rues.
– Je te donne trois pour vingt.
– Non, je te donne vingt pour quatre.
– Tu me ruines !
– Tu me voles !
Ta sérénité ne touchait même pas les coupoles de leurs temples.
Ainsi tu passas et tu vins jusqu’à nous.
*
Tu tenais tes bras ouverts et dans ta poitrine le monde était contenu.
Les étoiles continuaient leurs cycles malgré ta souffrance réduite à la stature de l’homme.
Et il y avait en tous lieux une parole. Et ceux qui, autour de toi, ne comprenaient pas, formaient un petit tableau de chair ignorante et égoïste.
À la fin tu ouvris les bras définitivement pour survoler ton image humaine.
Et il y eut une pensée très obscure dans les choses, et les hommes furent saisis de crainte.
Tu attendis trois jours pour te lever.
*
Mon corps sait la souffrance de la blessure et la souffrance du plaisir.
Mon cœur connaît ses propres tromperies et l’impuissance des autres.
Mon intelligence est si souvent tombée qu’elle aime mieux rester agenouillée.
Je me sens nu comme une moelle endolorie de se trouver en contact immédiat avec la vie.
Que mes bras levés soient la, supplication puissante qui élève celui qui demande !
Que sur ma solitude tombe une étincelle d’illumination comme sur la campagne un éclair d’aurore noble !
Ricardo GÜIRALDES.
Traduit de l’espagnol par Valery LARBAUD.
Paru dans le Roseau d’or en 1928.