La prière
Écoute cette voix que vers les cieux dirige
L’univers qui gémit dans le soir,
Et vers le Créateur sublime, élève
La prière qui sur ta lèvre se répand :
Surprends la strophe que la mer murmure,
Contemple le soleil abaissant sa couronne,
Ô mortelle créature !
Et plie sur la poussière ton genou.
Mère Nature,
Quelle douceur gagne l’âme attendrie
En ton heure de paix,
Et sous l’écho universel de la tristesse !
Et comme dans le profond désir
Qu’anime l’immortel esprit,
L’espérance boit à ton mystère
La majesté qui vers le ciel l’élève !
Tout dans le soir exalte la prière,
Tout a dans l’âme universelle son refuge,
Et la création, en extase tombée,
Comme une harpe éolienne chante sa prière.
La mer roule ses vagues gigantesques
En un calme et paresseux mouvement
Jusqu’au désert des plages solitaires
Où somnole le vent :
L’ultime crépuscule qui baigne
De sa couleur de funèbre évanouissement
L’immensité de l’espace infini,
Éteint les chatoyants reflets de la montagne,
Qui redresse son front
Pour contempler le rayon, l’ultime rayon,
Du soleil qui s’écroule à l’occident.
Le désert paisible
Tremble sous le pas du fauve qui s’abrite
Au sein de la forêt amie,
Plein d’une quête étrange et de douceur :
Le bois tumultueux
Replie dans le silence son feuillage
Sur l’oiseau sauvage
Et l’oiseau peureux ;
Et telle une âme timide et errante
L’ombre sort et dans la forêt épie
L’ultime crépuscule du jour
Pour étendre son aile vacillante.
Solitude, solitude ! Sur ton monde
Passe rapidement la brise fugitive
Aussi légère que le souffle frémissant
Que le râle vient arracher au moribond :
On dirait qu’elle dit :
« Silence ! » par sa plainte, à la Création.
Alors sur la voûte bleutée
L’étoile s’ouvre comme les fleurs,
Et là-bas, sur son limpide regard,
Tout au zénith du globe
S’exhale une vague harmonie
Qui absorbe l’esprit
Et le remplit d’une sublime adoration.
Redresse ton front que l’angoisse vaine
Plonge dans l’enfer de ton deuil,
Ô créature humaine !
Et écoute ce chant qui vers le ciel t’appelle.
Ô soir majestueux,
Comme tu montres Dieu dans ta grandeur,
Comme elle jaillit la vie mystérieuse
Sous ton souffle d’immortelle tristesse !
Dans l’écho lointain
S’élève une voix qui flatte le cœur
Telle la voix du père, telle celle du frère,
Et dans le soupir de la brise vague
Qui vient sur les cheveux du front
Nicher son murmure secret,
Oh ! comme le trille affectueux de la mère
Semble parler à l’âme attendrie !
Sur la vallée obscure retentit
Le hurlement sauvage du torrent
Qui roule sur la pente
Et s’écroule dans l’antre effrayant :
Il brame et se précipite,
Sa chute fait trembler l’abîme creux,
Et l’écho épouvanté
Surgit des gorges pour hurler.
La feuille qui balance
Fait frissonner le cœur ;
On dirait la rumeur légère
D’une ombre évoquée,
Et dans la lumière tremblante de l’étoile
Il y a quelqu’un qui nous envoie un regard.
Il y a une plante qui se tord et qui gémit
Et qui invoque la pitié
Sous le pied prudent qui l’oppresse ;
Il y a une branche qui nous effleure au passage,
Une branche timide ;
Il y a une fleur qui s’épanouit avec délice
Et répand sa pluie de pétales
Sous l’œil mortel qui la caresse ;
Dans les chimères de l’ombre errante
S’efface et se dessine
Une pâle main qui nous fait un signe
Et une lèvre souriante qui nous nomme...
Sur le monde désert
La solitude, comme un fantôme, observe,
Tandis que ressuscite, et tressaille, et tournoie
La vie des choses mortes.
Ô mortelle créature !
Ne sent-elle pas Dieu, l’essence de ta vie ?
C’est que, fondue à l’âme universelle,
Ton âme avec tristesse aspire à Lui ;
C’est que la majesté de la grandeur
Inonde le cœur de tendresse.
Ô soir, beau soir
Qui sur le monde fais rouler le firmament
Dans le scintillement de ta première étoile !
Tu rends plus douce mon âme esseulée ;
Je sens en ton sein une harmonie, je sens
Comme un ange qui pleure......
Ô Dieu ! c’est la prière
Par laquelle la Création t’adore dans le soir !
Ricardo GUTTIÉREZ.
Traduit par Claude Couffon.
Recueilli dans Anthologie de la poésie ibéro-américaine,
Choix, introduction et notes de Federico de Onis,
Collection UNESCO d’œuvres représentatives, 1956.