L’église

 

 

Vieille et sombre, petite, au fond d’une étendue

L’église où nous allons prier semble perdue.

C’est en vain que notre œil s’obstine à la chercher.

Il faut, pour découvrir la pointe du clocher,

Au-dessus de la haie étouffante et sournoise,

Que le rire du ciel fasse éclater l’ardoise.

Alors le coq de bois paraît vivre au soleil

Avec sa crête rouge et son poitrail vermeil.

Il indique l’église, il se dresse ; il écoute

Les propos du village et les bruits de la route.

Il voit, sous la fierté de ses ongles luisants,

Rouler les chariots, passer les paysans ;

Il voit dans le lointain de grands bœufs aux pacages

Qui rongent la figure immense des herbages.

Au détour du chemin, entre les deux âris

Qu’ombragent des lilas et des poiriers fleuris.

Vaincu par la chaleur, le cantonnier, sans honte,

Somnole, rêve, bâille et dit : « Le soleil monte ! »

Le vieux coq rayonnant s’exaspère à midi.

Mais le paysan dort et le bœuf alourdi

Se couche. On n’entend plus les oiseaux ni personne.

Dans le silence universel l’angélus sonne.

 

L’église où nous allons prier n’a qu’une voix.

Elle informe les champs, elle avertit les bois,

Elle annonce ou rappelle à toute âme qui prie

Le beau salut de l’Ange à la Vierge Marie.

La voix, la douce voix qui monte vers les Cieux,

Nous l’avons entendue au fond du chemin creux.

Nous avons entrevu le coq entre les branches.

Allons-nous retrouver l’église des dimanches ?

Ouvrira-t-elle encore, ainsi qu’un éventail,

Le plein cintre élargi de ce très vieux portail

Qui tient l’ombre des jours pendante sur sa baie ?

Le porche est clos. Voici, protégé par la haie,

Le cantonnier, les bras en croix sur le talus.

Un oiseau dans les fleurs écoute l’angélus.

Plus loin, le haut curé, droit dans la solitude,

Devant le seuil désert fixé par l’habitude,

Heureux de voir quelqu’un, sourit quand nous passons.

Puis la cloche légère, avec de petits sons

Doucement répétés, tinte et meurt sous la nue.

 

L’église où vous priez, ma sœur, est un peu nue ;

Elle a d’anciens vitraux qui claquent dans le plomb

Et les saints tourmentés n’y sont pas très d’aplomb ;

De son autel roman les vers creusent les marches,

Ils forent sans pitié deux fronts de patriarches ;

Et là-haut, sous la voûte, auprès d’un pendentif,

Ils ont mangé le nez d’un Confesseur naïf.

Quatre martyrs de pierre, inquiets sur leur base,

N’en expriment pas moins la douleur ou l’extase.

Le chien prudent a fui la niche de saint Roch.

Messire saint Martin, solide comme un roc,

De sa dextre, sans doute habituée au sabre,

Coupe en deux son manteau, qu’il offre à Benoît Labre.

C’est tout. Mais quel démon bizarre me frôla ?

Ô ma sœur, priez bien pour moi, car ce sont là,

D’une âme malgré tout légèrement impie,

Les curiosités que votre lèvre expie.

Je suis auprès de vous et laisse encor mes yeux

Errer dans les rayons qui dorent vos cheveux,

Et je songe au sentier qui conduit à l’église...

Mais vous, qu’une prière ardente immobilise,

Je sens que vous tenez, pour de plus longs chemins,

Le grand rêve éternel en vos petites mains.

 

 

 

Paul HAREL, Heures lointaines, 1904.

 

 

 

 

 

 

 

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