La croix de bois
Pour Alfred Poizat.
Ô Croix de bois, qui mets ton signe douloureux
Sur les prés, sur les champs et sur les chemins creux,
Toi qui pouvais là-bas te dresser grave et haute,
Quel caprice pieux t’a plantée à mi-côte ?
Quel hasard ? – Le charmant hasard d’un carrefour.
Voici les chemins creux : l’un s’en va d’Échauffour
Jusqu’à Planches, qui fut une ville romaine ;
L’autre des champs aux bois se tord et se promène
Très poétiquement. Ils n’ont pas deux endroits
Pour se rejoindre ; ils vont, viennent, font une croix
Devant la Croix de bois, puis s’enfuient par les haies
Où les épines et les houx mêlent leurs haies,
Car l’automne brumeux expire à l’horizon.
Dans le vent pluvieux, non loin de ma maison,
L’arbre s’agite et pleure, et la sombre vallée
Est la sœur de mon âme obscure et désolée.
Car les plaintes du vent, ce sont des cris humains.
Car les pleurs des buissons qui bordent les chemins
Avec mes larmes ont mouillé, mouillé le terre.
Et j’ai porté ma croix sous la Croix solitaire.
Seul, ayant comme un poids de brume à son manteau,
Ce matin le poète a franchi le coteau.
Pas une voix dans l’air, pas un son dans les branches.
L’Angélus d’Échauffour et l’Angélus de Planches,
Qui s’unissent parfois en un chant fraternel,
Étouffés et lointains, se perdaient dans le ciel.
Les chemins, les maisons, les clochers, les églises
Et tous les arbres se voilaient de vapeurs grises.
Gavés des fruits sanglants de l’épine et du houx,
Les oiseaux regardaient le poète à genoux.
Ils voyaient dans la brume une croix ébauchée,
Puis un être, immobile et la tête penchée.
De l’homme au bois sacré quand les bras s’appuyaient,
Quand il joignait les mains, les oiseaux s’enfuyaient
Par les chemins, sur le coteau, dans la ravine,
Et l’homme, resté seul sous votre Croix divine,
Ô Christ, l’homme ulcéré, le pécheur, le passant,
Baignait son cœur malade aux flots de votre sang.
Paul HAREL, Les Heures lointaines.