Le mausolée
Si pour moi, quelque jour, tu fais creuser la terre,
Choisis au fond des champs, près du ciel solitaire,
Ce lieu sauvage où l’herbe efface les chemins.
Vois : le soir met là-haut des ors et des carmins
Et des flèches de feu glissent dans la ravine.
Sous l’horizon, la mer est proche : on la devine.
Te souviens-tu des bruits terribles d’autrefois ?
Mais la clameur des eaux ne couvre plus les voix :
J’entends la tienne et quand lu parles, mon amie,
On dirait que la mer au loin s’est endormie.
La terre est douce, les chemins qui vont là-bas
Sont tranquilles, la mousse éteint le bruit des pas ;
Cet arbre, d’où l’orfraie au jour s’est envolée,
Protégerait l’agreste et pieux mausolée
De celui qui vécut dans les champs et les bois.
Un mausolée ? une humble pierre sous la croix.
Fais-y graver un nom, indique la naissance
Avec le jour prochain de l’éternelle absence.
N’ajoute rien de plus, va, puisque tout finit.
Laisse les grands espoirs à quelque vain granit,
Car le temps rit dans les mensonges de la pierre.
Garde au visage aimé l’abri de ta paupière.
Là-haut, quand régneront le silence et l’oubli,
Tu reviendras encor, de ton pas affaibli,
Par les mêmes chemins, rêveuse, toujours seule,
Et, sous ton voile noir, blanche comme une aïeule.
Qui sait ! Tu souriras peut-être à mon tombeau,
En voyant de tes jours vaciller le flambeau,
Sans qu’une ombre ait jamais terni la pure flamme
Du vieil amour gardé saintement dans ton âme.
Et tu diras : « Voici la fin de ce long deuil,
Le mystère s’entr’ouvre et j’ai touché le seuil,
Et des souffles divins ont effleuré ma bouche. »
Puis, lorsqu’elle étendra ses ailes sur ta couche,
La mort, en se penchant, trouvera dans tes yeux
Un mausolée au fond des champs silencieux.
Paul HAREL, Heures lointaines, 1904.