Dickens au camp
Au-dessus des sapins, la lune lentement passait,
Le fleuve chantait sa chanson si monotone,
Et la grande « Sierra » dans le clair lointain élevait
Ses minarets neigeux qui semblaient sa couronne.
Le grand feu du camp, dans un rude caprice, montrait
Du manque de santé la marque trop certaine
Sur des visages hagards, car chaque homme s’enfiévrait
Dans la course furieuse après l’or dans la plaine.
Tout à coup un homme se lève, et du fond de ses malles
Il retire un volume usé, mais hors de prix.
Alors les cartes tombent des mains oisives et sales
Pour entendre le conte, à plusieurs incompris.
Puis tandis que tombent les ombres, que la nuit fait naître,
Et que le feu baisse à mesure qu’il s’éteint,
Il leur lit tout haut le livre, dans lequel le grand maître
Avait raconté « Nell », ce tableau si bien peint.
Ce dut être la passion du lecteur, car le jeune homme
Parmi ses compagnons était le moins âgé,
Mais en lisant, des pins et des cèdres, de l’air en somme,
Un silence profond semblait être tombé.
Alors dans les ombres vagues, les sapins s’approchant
Semblèrent écouter, remuant chaque feuille,
Et sur les prés anglais, si verts, avec « Nell » tout le camp
Erre par la pensée, et chacun se recueille.
Arrêtés ainsi, dans ces solitudes élevées,
Comme si par un triste et doux charme divin,
Leurs soucis s’enfuirent, comme les feuilles desséchées
Tombent d’un coup de vent des branches du vieux pin.
Maintenant ce camp est disparu, le feu dissipé ;
Il est mort, le lecteur qui causa tous ces charmes.
Ah ! toi, bel arbre, et toi, beau clocher anglais tant aimé,
Un seul conte suffit pour leur tirer des larmes.
Bret HARTE.
Traduit par sir Tollemache Sinclair.