Devant le crucifix

 

 

Je regarde le crucifix.

Vous êtes seul, mon Dieu,

Élevé au-dessus des hommes

Comme un fruit écarlate,

Greffé avec des clous

À cet arbre mort,

En forme de croix.

 

Vos amis sont en bas :

Marie, les saintes Femmes

Et Jean, l’Apôtre bien-aimé.

Mais, à cette heure,

Qui s’étend jusqu’à la troisième heure,

Ils sont encore trop loin

Pour vous tenir la main,

Pour essuyer votre front.

Vos yeux, Jésus,

Personne ne les ferma,

Et, depuis ce temps, ils n’ont pas cessé

De regarder le monde

Avec ce même air

D’amour et de supplication.

Cette minute de solitude totale

Entre la vie et la mort,

Que connaîtra un jour ou l’autre

Tout homme,

Comme elle fut atroce

Et longue et sans merci,

Pour vous, mon Dieu,

Qui connaissiez pourtant l’Éternité !

Et vous vous tourmentiez

Pour nous qui ne savons pas

Et qui avons peur...

 

Jésus, vous êtes seul,

Bien seul,

Avant ce suprême

Retour au Père.

La place de saint Jean

Est bien vide sur votre épaule,

Près de votre cœur.

 

Je regarde le crucifix,

Et je comprends

Que, pour me rendre

Jusqu’à Vous,

Il me faut apprendre

Toute la Croix,

Pied à pied, pouce à pouce ;

Y grimper

Comme à un arbre difficile.

Sans rien en excepter,

Étreindre toute la Croix ;

Car c’est au centre que Vous êtes,

Là où saint Jean

Reposa sa tête.

 

 

 

Anne HÉBERT,

Les songes en équilibre,

Éditions de l’Arbre, 1942.

 

 

 

 

 

 

 

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