Lacrymae
Seigneur, voici la main que je levai sur Toi,
Et la bouche qui t’a couvert de sa bavure,
Et les pieds qui n’ont point couru le sentier droit
Et le vil cœur de chien dont tu sais la morsure.
Et voici mon esprit aveugle à la clarté,
Mais sensible à tous les phantasmes de ce monde,
Et mes yeux qui se sont fermés à ta Beauté,
Et voici mon vouloir, plus traître et fol qu’une onde.
Christ Jésus, t’ai-je point mille fois renié,
Si tiède à ton service et brisé de mon doute,
Aussi lâche toujours qu’au lieu de l’Olivier
Où je m’endormis tôt, le courage en déroute ?
Cette gorge a lancé le cri : Barabbas !
Ma faiblesse ne fut que celle de Pilate
Et ma duplicité la marque de Judas :
C’est moi qui te baisai, pour te perdre, en ma hâte...
Puis j’ai tressé l’épine et noué sur ton front
Ce diadème de douleur et d’agonie,
Et j’ai forgé la chaîne et j’ai forgé l’affront
Et martelé les clous de ton ignominie.
Or, qui donc te chargea de ton propre gibet,
Et qui donc d’un bâton te caressa l’échine
Aux moments où tu fus sur le sol retombé ?
Et qui donc se moqua de ta navrante mine ?
C’est moi, sur le rocher où tu vainquis le Ciel,
C’est moi qui t’abreuvai de la liqueur amère !
Tu dis : « J’ai soif de toi ! » Je te tendis le fiel...
Je te donnai la mort. Tu m’appelais ton frère.
De même que j’ai mis cet écriteau de roi
Au-dessus de ta tête inclinée en silence,
Oui, moi je t’ai cloué, vive croix sur la Croix,
Oui, moi je t’ai percé le flanc avec la lance.
Alors, par la blessure ouverte de ton cœur,
Ton dernier sang jaillit sur ma rude paupière ;
Et moi qui t’avais vu, d’un œil sec et moqueur,
Souillé, frappé, maudit, devant ta vierge Mère,
En essuyant ma joue ardente à s’offenser,
Je sentis tout à coup quelles étaient tes armes :
Car à ton sang divin pour mon rachat versé
Se mêla désormais la source de mes larmes !
Maurice HÉBERT.