Dieu

 

 

 

L’ÊTRE infini réside dans le sein de l’infini. Il est seul et éternel. L’Éternité parle par des œuvres impérissables ; et moi mortel, j’oserai lever la voix ; je l’oserai, pour dire aux mortels comment mon âme la sent et la conçoit. La pensée de la divinité n’est que le pressentiment d’une pensée plus vaste, d’une pensée lointaine que nous n’avons point encore. Quand l’âme plonge, étonnée, dans l’océan sans limite de ce profond sentiment, et aspire à une plus haute existence, c’est alors seulement qu’elle conçoit sa destination, qu’elle entrevoit dans l’avenir des jours, où, devenue plus pure, elle ira au fond de cette grande idée qu’elle soupçonne avec amour, et que sa robe de poussière lui défend de sonder. J’oserai, faible que je suis, parler le langage suprême, le parler avec des mots mortels. Plus légère que le bruit du vent dans les fleurs du vallon, la voix qui annonce l’existence de Dieu s’élève, quand la réflexion solitaire s’arrête sur l’Éternel, s’élève des humbles bouquets de nos prairies jusqu’au trône de la Toute-Puissance, jusqu’aux globes roulants qui pavent le firmament.

Hommes, c’est pour vous que je parle, que je traduis en paroles d’homme les paroles du Très-Haut. Écoutez, et recevez-les dans la poussière. Que si vous voulez entendre de plus près cette voix du Roi des rois, qui résonne près du trône de son infinité, écoutez-la dans le sanctuaire de votre âme, et montez ainsi du limon qui vous environne jusqu’à la pensée qui n’a ni borne, ni mesure !

Et voici ce qu’elle dit, cette voix que j’interprète ! Dieu est éternel et seul, simple, invariable, toujours semblable à lui, infini, tout-puissant, simple dans son essence, invariable dans sa volonté, toujours semblable à lui dans l’existence, infini dans son action, tout-puissant pour créer et pour conserver. Ce qui l’entoure est comme aimanté de sa nature, infini et éternel, au-dessus des bornes de l’espace et du temps qu’il a déterminées ; ce qu’il a commencé, il l’a commencé de toute éternité, et achevé dans l’éternité. Il n’y a avec lui ni changement, ni correction. Ses lois demeurent comme des colonnes, telles qu’il les a posées, et de ces lois, immuables et sans terme, découlent toutes les variations de l’univers. Ces lois sont l’expression de son omnipotence. Elles l’expriment, et la renferment.

Quand Dieu, dans son séjour impénétrable, se fut soumis le plan de la création, qu’il voulut créer et créa, alors, comme une âme vivifiante, se répandit dans l’immensité un ordre aussi majestueux que Lui, un ordre fixe et incommutable. Le tout alors fut accompli. Dans cette mer de clartés qui n’a pas de rivages, reposent les étoiles, armée lumineuse, qui soutient dans le tourbillon flottant de ses rayons les terres ; les terres qui s’élancent dans leur vol circulaire, plus rapides que nos pensées dans leur essor le plus hardi, chacune solitaire, et toutes fraternelles. Ainsi voguent sur l’océan, près des bords où l’horizon s’enfonce dans les nuages, deux vaisseaux à mille lieues l’un de l’autre, obéissant au même vent. Ces myriades de soleils ne se rencontrent jamais. Leur disque radieux déchire les plis de l’obscurité, car au séjour des flamboyantes constellations habite la nuit voilée. C’est là qu’à peine visibles, tant ils sont loin, brillent cernés de pâles vapeurs, et semblables à des nuages laiteux et transparents, des soleils entassés sur des soleils, des bataillons de mondes embrasés ; et guidé par eux, le voyageur de la terre voit à peine à leur lueur le sentier qu’il parcourt. Ces puissances du ciel n’ont pour lui qu’un jour crépusculaire, semblables au réveil de l’aurore, quand la lune, disparaissant derrière les bois, se cache dans les nues, et que l’étoile du matin n’est pas encore éteinte. L’ombre de la terre doit-elle voiler ses pensées ? Doit-il à la faiblesse de ses yeux mesurer l’immensité ? son esprit ne doit-il pas s’élancer plus haut, admirer l’ensemble de l’univers, et dans l’univers le Dieu qui le conserve après l’avoir créé ? Dieu est l’âme des astres et des mondes. Le réseau de sa toute-puissance retient leur foule dans des systèmes sans nombre, et l’ordre de la création maintient à leurs places, et ces soleils étincelants, et ces grains de poussière qui semblent nager sur leurs rayons.

La création se déploya enfin sans voiles devant son auteur. Il y laissa tomber son regard souverain, et trouva que tout était bien. L’œil qui voit tout pénétra dans l’éternité, et devant ce regard céleste parut la perfection dans toute sa majesté, et cette perfection n’eut que lui pour témoin. Ce n’était pas un œil mortel qui pouvait contempler tant de grandeur, un œil qui salue le matin et se ferme le soir ! Mais elle est pure et sublime, la vue qui saisit Dieu sous la voûte étoilée, la porte de l’infini.

C’est de là que s’abaisse sur la terre, à travers tous les cieux, l’éternelle vérité, éternel sujet de recherche, que l’esprit peut scruter sans jamais trouver le fond. Qu’il est grand et magnifique, ce spectacle ! Mais que celui qui se cache dans d’invisibles profondeurs est plus sublime encore ! Si les périssables humains pouvaient, éclairés par le crépuscule d’une âme immortelle, s’élancer vers des formes intelligibles ; s’ils pouvaient élever leur esprit à la hauteur du Tout, embrasser dans sa circonférence l’œuvre de la divinité, cette œuvre de la toute-puissance assise sur la base de l’éternité ; oh ! alors la foule solitaire de nos pensées terrestres s’abîmerait dans cette contemplation, comme des gouttes de rosée dans les vagues de l’océan !

Dieu est Dieu ! Que ces mots retentissent comme la foudre dans le fond de vos pensées ! Dieu est Dieu ! Et les mondes, comme une graine échappée de ses mains, sont dispersés, incalculables, dans l’espace sans mesure. Comme le bruit des épis dans le champ de la moisson, il entend le bruit des mondes, de leurs mille milliards de bataillons. Toi habitant de la terre, toi habitant de la plus grande étoile, citoyens des mondes flottants que ses mains ont semés, prosternez-vous, et priez ! Confessez-le dans le silence de l’extase et de l’admiration ! Dieu est Dieu !

Réjouissez-vous de l’omniprésence, vous, âmes créées pour elle ! Vous ne serez nulle part abandonnées ; la voix divine plane autour de vous, et parle le dialecte brûlant des âmes. Reposez dans les bras de l’Éternel avec la joie et l’espérance, et ne croyez pas être plus on moins près de votre Protecteur : il est partout. S’il pouvait, seulement une fois, pénétrer dans votre sein, le sentiment profond de la marche souveraine des choses ; si vous pouviez savoir comment avec plus d’accord qu’en nos concerts, vains échos de ceux du ciel, un hymne universel de joie célèbre la création, qui roule triomphante au sein de l’éternité avec une éclatante harmonie : oh ! qu’avec joie alors vos chants accompagneraient le vol mélodieux des sphères, heureux de suivre l’ordre divin, jusque dans vos humbles vallons !

Quelque bas que nous regardions, les lois de Dieu y sont. Qui les reconnaît, le connaît et suit le sentier d’or de la vérité. Les lois de Dieu ont disposé les forces et assigné leurs limites ; tout ce qui est, obéit à ses lois. Avec la lumière de son trône, il a, au jour de l’origine, répandu sa volonté à travers les cieux des cieux, et le fleuve inextinguible, coulant de monde en monde, a, dans le cours souverain de ses flots immortels, promené depuis l’empire des astres jusqu’aux plus petits rameaux nerveux de la création, la révélation de cette sainte volonté. Sur nos montagnes, comme sur les hauteurs de ces fourmilières de planètes, soleils roulant au-dessus des soleils, univers planant sur des univers, dans l’humide fracas des flots, comme dans les vagues sablonneuses du désert, dans le silence rampant du ver, dans l’invisible mobilité de la plante qui germe, partout, la parole de l’Éternel retentit telle qu’il l’a prononcée lui-même. Tout ce qui est l’entend. La raison, l’instinct, le mouvement, ne sont que les organes qui la transmettent aux mondes, toujours plus claire, plus explicable à mesure qu’on avance, toujours visible dans ses œuvres. L’homme règne et régnera dans un espace de temps limité ; mais Dieu, dans aucun point du temps, n’a gouverné ses royaumes d’une main plus savante, plus visible, plus forte, plus généreuse, plus grande ; jamais il ne s’est montré plus près ; jamais il n’a mieux manifesté sa divinité, que dans le livre irréfutable de la création, dans ce livre comble des divines paroles qu’il a prononcées de toute éternité et que l’éternité répète.

Le pécheur qui hors de la voie tracée transgresse l’ordre divin, qui suit dans ses pénibles détours la route solitaire que son égarement s’est frayée, le pécheur qui n’imprime pas sur le sentier du temps des vestiges tournés vers l’éternité, se perd, triste et fatigué, de tourments en tourments, de soucis en soucis. De quelque côté que son œil se tourne, il ne rencontre que vide et délabrements, plaintes, révolte, débris, désespoir, pourriture ; et une voix intérieure lui crie, avec les cris de fer d’un repentir qui s’éveille en sursaut : Tremble, tu es le révolté ! Comme le corps, dans le libre exercice des forces qui le vivifient, a la conscience nette et joyeuse de son être, l’âme aussi a la conscience intime de sa paisible joie, quand elle marche dans la voie que la nature lui désigne. Une élévation tranquille, une dignité ascendante, la maturité de la grandeur, portent l’âme vers sa source ; et les vertus, qui la sanctifient, secouent leurs trésors infatigables sur chaque scène de la vie, semblables au printemps qui, des rayons du soleil, descend sur la terre nue et frileuse, et secoue sur son aridité l’or tiède de ses ailes.

Comme l’ouragan qui, dans son vol dévastateur, renverse le sapin des forêts et la hutte du bûcheron, et laisse sur son passage une longue ligne de misères, le coupable traverse le rêve de la vie ; mais il s’éveillera. Le bandeau de plomb qui lui charge les yeux fondra avec la nuit de la terre devant l’éclat du jour, et l’aurore l’appellera de la couche de l’erreur à comparaître devant la Vérité. Comme il s’étonnera ! Comme il tremblera, quand son esprit s’approchera du rideau tombant des temps ! Quand il sentira combien il s’est égaré dans cette voie fugitive, où il aura marché solitaire ! Quand il pèsera nos années si rapides au poids de l’éternité, et l’erreur passagère avec la sagesse perpétuelle ! Qu’il rougira du gaspillage insensé du temps ! Que sa vie lui semblera stérile et vide, quand le vaste tableau de la création se déroulera sous ses regards ! Dieu ne le jugera pas : ce sont ses lois qui le jugeront ; il est jugé dès l’éternité. Ainsi parle Jéhovah : Le juste et l’injuste sont éternels, je ne puis ni ne veux le changer.

Mais les voies du retour ne sont pas fermées au coupable. Elles se rouvrent à lui, quand la fatigue de l’égarement l’avertit, quand le poids de l’erreur et les chaînes du crime le pressent à la terre. Dieu ne doit-il pas rendre heureux tout ce qui cherche à l’être ? Et celui qui veut revenir ne doit-il pas, dans les larges trésors de son pouvoir, trouver quelque ressource qui favorise son retour ?

Si les mondes en débris, se succédant dans leurs chutes, doivent tomber comme les gouttes de la pluie, et se précipiter de la haute voûte des cieux comme les feuilles des arbres secoués par les vents d’automne ; si les soleils, détachés du tronc puissant des mondes, doivent s’engloutir dans l’immense tombeau des terres, ils doivent en relever leur tête, plus radieuse, et recommencer en rois leur course lumineuse, comme le printemps qui reparaît chaque année sous sa forme nouvelle. Ce n’est pas sa colère, c’est sa sagesse qui les régit, et ce sont ses lois qui destinent aux mondes, après la paix solennelle du soir, le retour majestueux de l’aurore.

Dans ce vaste accord des sphères, dans leur sainte harmonie, réside la vertu céleste, fille rayonnante de la divinité. Elle est céleste dans le ciel, terrestre sur la terre, là éternelle et invariable, ici changeante et périssable, et toujours cependant consonante avec le temps, comme avec l’ordre éternel.

Pèlerin des sentiers de la terre, quand tout change et périt, l’homme reconnaît que l’ordre est éternel ; les temps n’ont qu’une voix pour le proclamer. Périssables et changeantes, les vertus terrestres que tu exerces, passent dans le domaine de l’infini et arrivent à la vertu céleste.

Ce n’est pas hors de la terre, ce n’est pas dans les rêves de l’esprit, dans l’attente douloureuse de l’avenir qu’est la vertu humaine. Vois, elle s’offre à chaque pas, complaisante et sans art ; les plaisirs l’environnent d’un chœur florissant. Il n’est point de lieux où elle ne soit répandue, et son temple est partout. Salut à celui qu’elle rend heureux, qui sent sa dignité ! L’orage peut gronder autour de lui, l’ouragan mugir dans l’écho des rochers, les sapins trembler sur les montagnes, ou des airs plus doux, chargés du parfum des roses, murmurer autour de sa tête, frissonner dans les buissons : quelles que soient les actions qui l’appellent, les grandeurs qui lui sourient, les vertus qui l’attirent, sa vie reste conforme au but, à la fin pour laquelle il a reçu l’être. Il vit toujours dans la loi de Dieu ; il rend son existence douce et grande, aussi heureuse qu’elle peut l’être sur la terre. Il cherche à adoucir aux autres le sentier qu’il s’est rendu facile, à les admettre dans son bonheur. Dieu l’en récompensera. Son esprit immortel plongera dans l’océan de la félicité, se perdra dans la grandeur de la divinité qui embrasse tout, de la toute-puissance qui sent tout ; et en harmonie avec elle, en harmonie avec la pensée de la création, il verra Dieu aplanir devant lui l’infini et l’éternité.

 

 

 

August Adolph Friedrich HENNINGS.

 

Traduction anonyme.

 

Paru dans Leçons de littérature allemande, Jules Le Fèvre-Deumier.

 

 

 

 

 

 

 

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