Le baiser

 

 

Judas dit aux soldats qui cherchaient Jésus-Christ :

« Je vous le montrerai. » Jésus était proscrit,

Il se tenait dans l’ombre avec quelques fidèles,

Et, sans crainte, attendait. La mort, à longs coups d’ailes,

Semblait déjà voler vers son front pur et doux.

– « Ce Jésus, à quoi donc le distinguerons-nous ? »

Dit le chef des soldats. Alors, l’apôtre indigne,

Après avoir cherché quelque temps un bon signe,

Sourit, et de sa voix la plus basse parla :

– « L’homme que vous voulez, ce sera celui-là

Vers qui j’irai d’abord, la main droite tendue,

Et que j’embrasserai. » La voix fut entendue,

Et l’on suivit Judas, sûr de trouver le Christ.

La troupe, au bout d’une heure à peine, découvrit

Un jeune homme pensif qui dominait un groupe.

« Arrêtez », dit Judas. Un soldat de la troupe

Souleva sa lanterne à la hauteur des fronts,

Et les autres songeaient : « Cette fois, nous l’aurons. »

Jésus frémit un peu, lorsqu’il sentit le traître,

Mais il offrit la joue et ne fit rien paraître,

Car il pensait : « Hélas ! comment le refuser ?

Le baiser de Judas, c’est encore un baiser. »

 

 

 

Émile HINZELIN.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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