La force du pénitent

 

 

                                I

 

J’allais par le désert qui conduit à la Mort

Et la faim me rendait insensible à mon sort.

 

Or je m’étais couché sans force, quand un ange

M’a secoué criant : « Lève-toi, fils, et mange ! »

 

Et d’un œil égaré j’ai vu près de ma main

Se dresser une cruche et s’élargir un pain.

 

Je bus et je mangeai ; mais ma lourde paupière

Aussitôt retomba dans sa torpeur première.

 

L’ange encor m’éveilla : « Bois et mange, mon fils ! »

Cria-t-il, et dressé, longuement je le fis.

 

Et comme je mangeais, je sentis une flamme

D’une force terrible et douce emplir mon âme.

 

Et, pendant de longs jours, vers le mont du Dieu fort,

Je marchai calme et pur, triomphant de la Mort.

 

 

                                II

 

Que toute chair humaine et mortelle se taise,

Car mon cœur se dilate et mon trouble s’apaise.

 

Le Seigneur pitoyable a remis tous mes torts ;

Il a nourri mon âme et mon corps de son Corps !

 

Les mères ont livré leurs enfants aux nourrices,

Mais Lui nourrit les siens de ses vives délices !

 

Comme une cire molle et blanche se dissout

En une autre et ne fait avec elle qu’un tout,

 

Ainsi j’ai senti Dieu, grâce à ma pénitence,

Saturer tout mon moi de sa propre substance !

 

J’ai senti qu’Il plaçait, contact vertigineux,

Sa bouche sur ma bouche et ses yeux sur mes yeux !

 

Mon cœur est maintenant plein d’un feu de fournaise !

Que toute chair humaine et mortelle se taise !

 

 

                                III

 

Je ressusciterai ! Lorsque viendra le jour.

Je ressusciterai pour la Vie et l’Amour !

 

Depuis qu’en mon néant le Pain daigna descendre,

L’Éternel couve en moi comme un feu sous la cendre,

 

Et ronge lentement, par un travail obscur,

Tout ce que la Révolte y fit germer d’impur.

 

Mon cœur porte le sceau de la Vie éternelle

Et je ris quand je vois la mort qui me harcelle !

 

Chrysalide difforme et qui subit son corps,

Je sens l’ange nimbé qui sous ma chair se tord,

 

Et j’aspire au signal des vibrantes trompettes,

Au tumulte effrayant des os et des squelettes

 

Qui reprendront leur chair pour l’Ombre ou pour le Jour !

Seigneur, fais que je sois digne alors de l’Amour !

 

 

                                                               Janvier I894.

 

 

H. HOORNAERT.

 

Paru dans Durendal en 1894.

 

 

 

 

 

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