Abisme de lumière
Acte tres-simple et pur, essence tres-abstraicte,
Sublimité cachee et plus que tres-secrette,
Solitaire hauteur,
Abisme de lumière, ô Dieu je vous adore,
Confus je vous admire, ô mon doux Createur,
Dés le poinct de l’aurore.
Seigneur, je veux avoir de vous la cognoissance
Par l’oeil mystérieux de la simple ignorance
Qui void qu’il ne void pas ;
Dans cet estre abissal penser voir quelque chose,
C’est dire qu’on peut voir dans un espais broüillats
Des lumieres la cause.
Si nous ne pouvons voir un seul estre de l’estre,
En Un trois unitez pourrions nous bien cognoistre,
Sur l’estre, temps et lieu ?
Si l’homme n’a de l’homme entiere cognoissance,
Et comme pourroit il apprehender de Dieu
La trin’unique essence ?
Le Seraphin auquel son essence il revelle
Se couvre par respect la face de son aisle,
Adorant ses grandeurs ;
Admirez ce secret, aucun des anges n’ose
S’eslancer dans l’esclat de ses saintes splendeurs
Sans l’attraict de sa cause.
Acte tres-ravissant, pure essence premiere,
Icy je ne veux pas regarder la lumiere
Du soleil de vos yeux ;
L’adorant en esprit j’esleve ma prunelle
Au celeste cachot où l’amour precieux
De mon Dieu se revelle.
De le voir glorieux c’est l’extaze des anges,
L’adorer comme Amour, et chanter ses loüanges
À l’ombre sans le voir,
C’est la gloire de l’homme, et dans ceste ignorance
Son ame en un instant acquiert le vray sçavoir
De la tres-simple essence.
Tout ce qu’en dira l’homme en ces terres estranges,
Tout ce qu’en penseront dans le ciel les archanges
N’est tout ce qui en est ;
En disant qu’il est Dieu, ils ne font un mensonge ;
Mais de la vérité ce qu’on void ou cognoist
N’est que l’ombre d’un songe.
Trois noms dans une essence, estre trois, estre unique ;
Dans sa simplicité cet estre magnifique
Trois personnes avoir,
Ce sont trois beaux soleils qui par trop de lumière
Esblouissent mon oeil qui foible ne peut voir
Ceste cause premiere.
L’estre avant l’estre estoit dans l’essence eternelle !
Ce concept infiny, l’eternel ne revelle
À l’esprit limité :
Il n’y a qu’un seul Dieu, mais trois sont en luy-mesme
Qui sont un mesme Dieu ! comprens tu, vanité,
Ce mystere supresme ?
Avant que fust le monde, enfant de sa puissance,
Dieu regnoit glorieux dedans sa mesme essence,
Son royaume et sa cour ;
Son estre estoit dans l’estre et sa vie en sa vie ;
Je n’ay pour ce secret des yeux, mais de l’amour
Où mon ame est ravie.
Memoire, esprit et cœur, (petit ternaire) adore
La grande Trinité, que je voudrois encore
Adorer en mourant.
De ce nombre sans nombre est la gloire infinie,
Je veux l’aymer sans fin, en extaze admirant
Sa divine harmonie.
Claude HOPIL.
Recueilli dans La poésie mystique,
Jean Mambrino, Seghers, 1973.