Je cherche à tastons
Abismé dans le sein de la Divinité,
Dans l’occulte secret de ceste Trinité
Où je cherche à tastons l’unité bien-heureuse,
Pensant voir en ce lieu la lumiere et le jour,
Je voy dans un broüillats une flamme amoureuse
Par les yeux de l’amour.
Celuy qui sur le cœur de Jesus fut couché
Au mystique repas, dit que le Dieu caché
N’est rien que charité qui dans l’amour demeure ;
Je ne le cherche plus dans un lumineux lieu,
Mais ravy dans le ciel pour une demy-heure
Je le voy dans le feu.
Je le voy sans le voir, car ce feu consommant
En son object aymé change si bien l’amant
Que l’intellect mourant, la volonté prend vie ;
Et dans l’Estre vivant qui nous fait vivre tous,
La tirant de ses sens il rend l’ame ravie
Au Paradis tres-doux.
Je ne sçay que j’ay dit ; le voyant peu à peu
Dans ce divin broüillats, je ne voy point de feu,
De rayons ny d’amours, d’esclairs ny de lumiere ;
J’entrevoy seulement le glorieux sejour
Et le lieu ravissant de l’essence premiere
À l’ombre de l’amour.
Le ternaire parfait (beau nombre illimité)
Nombre non pas du temps mais de l’éternité,
Paroist aux yeux secrets de mon intelligence
Au cachot plus caché de ce broüillats divin
Dans lequel mon esprit en extaze s’eslance
Avec le Seraphin.
Ce bel Ange void bien qu’en ceste Trinité
Il y a trois beaux noms dans la simple unité
Qui pasme au Verbe aymé tous les saincts et les anges ;
Et je voy seulement dans ce tres-pur miroir
Qu’indigne de chanter l’hymne de ses loüanges,
Je ne sçaurois la voir.
Quel est doncques cet Estre ? il est sur tout estant,
Quel est ce beau du beau que mon cœur ayme tant ?
Quelle est donc ceste vie et cet amour et gloire ?
C’est celuy dont à peine on entrevoit le lieu,
L’extaze de l’esprit, du cœur, de la memoire,
En un mot c’est mon Dieu.
Le grand desir que j’ay de le voir de mes yeux
Pourroit il surpasser cet amour glorieux
Causé du doux excez de sa grandeur supresme ?
J’ay bien quelque douleur en ne le voyant pas,
Mais son estre incompris de mon essence mesme
Me cause un sainct trespas.
Je suis seul sans mon Roy, ne pouvant seulement
Sans sa grace exister un seul petit moment,
Mais j’espere de voir un jour mon salutaire ;
Je me pasme de joye, et je me meurs d’amour
Croyant qu’il n’est pas seul au sejour solitaire
De sa divine cour.
Il est un par essence, et par mystere trois,
Tel par l’oeil de la foy je voy ce Roy des Rois ;
De mes trois facultez son unité j’admire !
Ô desert sociable ! ô beau lieu sur tout lieu !
Ô grand sein de la gloire où l’Archange respire !
Ô Paradis de Dieu !
Silence, mon esprit, ces Trois chantent aux cieux
De la Trin’unité le motet glorieux !
Les anges sont ravis de si douce harmonie,
Les saincts en sont pasmez ; adorons en esprit
Dans ces trois infinis une essence infinie
Au sein de Jesus Christ.
Claude HOPIL.
Recueilli dans La poésie mystique,
Jean Mambrino, Seghers, 1973.