Vision

 

 

Anges qui secouez la neige de vos ailes,

Tissez un voile doux, un voile étincelant,

Un voile de blancheur, d’innocence éternelle,

Et couvrez-en la terre, au vieux front chancelant,

 

Et laissez-l’y longtemps, longtemps ensevelie

Comme une morte calme et pure en son sommeil

Semble se reposer de la tâche accomplie,

Insensible, attendant le rêve, ou le réveil !

 

Que tout s’efface sous cet immense suaire ;

L’ouragan des forêts, le bruit sourd des cités,

Et le rire sceptique, et l’apostrophe amère,

Et les blasphèmes vils, les blêmes voluptés !

 

Laissez-là : qu’elle oublie en son voile de neige ;

Anges qui la plaignez, doux anges gardiens,

Bienheureux messagers du Dieu qui la protège,

Et, pendant qu’elle dort, brisez ses durs liens !

 

Ces durs liens dont l’homme étouffe la nature,

Sa pensée et son âme, et ses plus purs désirs,

Qui marquent tristement de noires flétrissures

Son front tout avili par les lâches plaisirs !

 

Oh ! pendant qu’elle dort en sa blancheur, la terre,

Si l’homme retrouvait le rêve immense et pur ;

S’il s’en enveloppait, de la chaste lumière,

Oubliant le passé, pour monter vers l’azur !

 

Sublime vision qui vient, au temps si sombre,

De ta vive lumière éblouir ma douleur,

Oh ! si réelle était, un jour, rien que ton ombre,

Quel éclat ici-bas répandrait sa pâleur !

 

Je veux croire au réveil ; – brisant les jougs infâmes !

Elle se lèvera, fière, la nation ;

Au ciel apitoyé redemandant des âmes,

Avec l’immense cri : « Régénération ! »

 

 

 

E. HOUARD, Une âme,

poésies posthumes : dernières pensées, 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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