Chant des galériens
Hô !... Hô !... Hô !... Hô !...
Sur les rames, cent bras ont le biceps tordu.
Le chef ? – Ignominie !
Sont-ce des morts, ceux dont j’entends, écho perdu,
Monter la litanie :
Hô !... Hô !... Hô !... Hô !...
Le muscle d’un rameur, de fatigue noué,
Perclus, s’ immobilise.
L’ombre vomit un monstre et ce monstre un fouet ;
Une voix agonise :
Hô !... Hô !... Hô !... Hô !...
Puis la relève mue en sinistre chaos
Cet enfer de détresse,
Pêle-mêle inouï de chairs, de sang et d’os
Qu’un cauchemar oppresse :
Hô !... Hô !... Hô !... Hô !...
Mais, des outres du ciel, sourd un nouveau fléau,
Car voici la tempête.
L’eau meurtrit ces damnés – deux fois damnés de l’eau –
Le vent les interprète :
Hô !... Hô !... Hô !... Hô !...
Ah ! vision d’horreur de tous ces torses nus
Que la vague soufflette,
En bâillonnant, sans fin, de ses mors soutenus,
La bouche qui halette :
Hô !... Hô !... Hô !... Hô !...
La galère aux cent bras, hydre d’abjection,
Fait naufrage et succombe.
Une sirène chante un psaume d’onction
Que ce verset surplombe :
Ô... ô... ô... ô...
Galère des humains, cours de port en récif !
Ta cruelle alternance
Met clameur de blasphème ou chant d’un tour plaintif
Aux lèvres de souffrance :
Hô !... Hô !... Hô !... Hô !...
Les sublimes archets de vos anges gardiens,
Grandes lyres des mondes,
Sanglotent en mineur sur les longs méridiens
À l’accord de nos ondes :
Hô !... Hô !... Hô !... Hô !...
Ô Vierges des Pitiés ! Priez, priez pour nous,
Galériens sur terre !
Ouvrez les paradis de vos dieux à genoux
Aux forçats sans galère !
O... ô... ô... ô...
Constant HUBERT.
Paru dans Hommes et Mondes en 1948.