La strophe des bergers

 

 

Nous avons marché de nuit vers Bethléem

et cherché à travers champs

l’étable bancale de paille et de glaise,

ceinte au loin par les aboiements.

 

Et pressés sur le seuil vermoulu

nous avons regardé l’enfant.

La neige s’engouffrait par la claire lucarne

et dehors c’était la glace et le vent.

 

Seul un bœuf réchauffait la crèche,

il se tenait près de la mère :

pauvres habits, pauvre fichu,

et comme maigre était sa main.

 

Un âne avait le museau dans le foin,

mâchant sans mal chardons, épines,

cardant un mol tapis de pailles,

oh, le froid piquant de la nuit.

 

Nous n’avions rien que nos bâtons,

ni moutons, ni pays nôtre,

qu’habit effrangé, plein de pièces,

et point de mur chaud pour la nuit.

 

Nous étions là timides et bouche muette :

les bergers, ô l’enfant, sont ici.

En prière et nous souhaitant

outils, charrue et taureau.

 

Sommes restés longtemps, ravalant la colère,

parce que l’enfant ne nous voyait pas.

N’attrapait-il pas le bœuf à la corne,

et n’était-il pas couché près de l’âne ?

 

Les copeaux de pin se consumèrent.

L’enfant cria et s’endormit.

Nous bougeâmes pour repartir.

Ah, comme nous étions seuls !

 

Ce monde allait être meilleur

maintenant, dit l’homme à la femme,

pour charpentiers, valets et pâtres,

il en était tout à fait sûr.

 

Nous entendîmes, incrédules – mais

sans déplaisir. Le monde était plein de misères.

Il neigeait fort. Et sous le ciel sans étoiles,

nous allâmes par bois et par champs.

 

Herbe, oiseau, agneau et filet et brochet,

Dieu nous les a donnés en fief.

Comme nous aurions aimé voir

la terre partagée justement.

 

 

 

Peter HUCHEL.

 

Recueilli dans Anthologie bilingue

de la poésie allemande,

Gallimard, 1993.

 

 

 

 

 

 

 

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