Un souvenir d’enfance

 

 

                                                            Poverina !

 

 

Je pleurais en silence et la tête penchée

Dans l’ombre entre mes mains sans entendre et sans voir,

Et je me croyais seule à tous les yeux cachée,

Quand quelqu’un près de moi doucement vint s’asseoir.

 

Je tressaillis – de peu la tristesse s’alarme –

Une femme cherchait à calmer mes douleurs ;

Elle savait des mots pleins de baume et de charme

Et mêlait sur mon front ses baisers à mes pleurs.

 

Ses deux bras m’entouraient ; elle était tout émue ;

Elle pleurait aussi, quand ma mère soudain

S’écriant : « Laissez-là, cette femme est perdue ! »

De sa main qui tremblait vint arracher ma main.

 

À peine si j’osai sans retourner la tête

Lui dire : « Adieu ! » tout bas et le regard baissé,

« Soyez bénie, adieu... » Maintenant je répète :

Adieu, soyez bénie ! À vous j’ai bien pensé.

 

Bien des fois j’ai revu votre pâle figure

En rêve, et j’entendais votre voix murmurer :

« Pauvre enfant, qu’avez-vous, vous si jeune et si pure

Qu’avez-vous à souffrir, qu’avez-vous à pleurer ? »

 

Adieu, soyez bénie ! Et que cette parole,

Échappée à votre âme et tombée en mon cœur,

Comme un doux souvenir qui compte, qui console,

Laisse dans votre nuit un rayon de bonheur.

 

La fleur que le froid tue et que le passant brise,

Ainsi qu’un vil rameau sur le sol rejeté,

Sous un peu de soleil, au souffle de la brise,

Aurait pu resplendir dans toute sa beauté.

 

À ses débris peut-être un parfum se mélange ;

Nul ne l’a soupçonné, Dieu seul le cherchera :

C’est peut-être, tombée au milieu de la fange,

Une fleur de l’Éden, que Dieu relèvera.

 

Votre vie, à nos yeux flétrie et condamnée,

Par un regard plus sûr sera jugée un jour,

Que cette larme pure à ma douleur donnée

Dans la sainte balance ait du poids à son tour,

 

Que l’ange qui se voile, en vous voyant déchue

La porte aux pieds de Dieu comme un précieux don ;

Qu’au ciel et sur la terre elle vous soit rendue

En pleurs de repentir, en trésors de pardon !

 

Soyez bénie, adieu !... Je vous plains et vous aime,

Votre nom qu’on méprise est pour moi triste et doux,

Car de la charité qui n’a pas d’anathème

L’enseignement divin me fut donné par vous.

 

 

 

Sophie HUË.

 

Paru dans la revue de

l’Académie des belles-lettres, sciences et arts

de La Rochelle en 1870.

 

 

 

 

 

 

 

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