Le cantique de Bethphagé
CHŒUR DE FEMMES
L’ombre des bois d’Aser est toute parfumée,
Quel est celui qui vient par le frais chemin vert ?
Est-ce le bien-aimé qu’attend la bien-aimée ?
Il est jeune, il est doux. Il monte du désert
Comme de l’encensoir s’élève une fumée.
Est-ce le bien-aimé qu’attend la bien-aimée ?
UNE JEUNE FILLE
J’aime : Ô vents, chassez l’hiver.
Les plaines sont embaumées.
L’oiseau semble, aux bois d’Aser,
Une âme dans les ramées.
L’amante court vers l’amant ;
Il me chante et je le chante.
Oh ! comme on dort mollement
Sous une branche penchante !
Je m’éveille en le chantant ;
En me chantant il s’éveille ;
L’aurore croit qu’elle entend
Deux bourdonnements d’abeille.
L’un vers l’autre nous allons.
Il dit : « Ô belle des belles,
La rose est sous tes talons,
L’astre frémit dans tes ailes ! »
Je dis : « La terre a cent rois ;
Les jeunes gens sont sans nombre ;
Mais c’est lui que j’aime, ô bois !
Il est flamme, et je suis ombre. »
Il reprend : « Viens avec moi
Nous perdre au fond des vallées
Dans l’éblouissant effroi
Des sombres nuits étoilées. »
Et j’ajoute : « Je mourrais
Pour un baiser de sa bouche ;
Vous le savez, ô forêts,
Ô grand murmure farouche ! »
L’eau coule, le ciel est clair,
Nos chansons, au vent semées,
Se croisent comme dans l’air
Les flèches de deux armées.
CHŒUR DE FEMMES
L’oiseau semble, aux bois d’Aser,
Une âme dans les ramées.
Victor HUGO, La fin de Satan, 1886.