Les funérailles de Louis XVIII
ODE.
LA foule au seuil d’un temple en priant est venue :
Mères, enfants, vieillards gémissent réunis,
Et l’airain qu’on balance ébranle dans la nue
Les hauts clochers de Saint-Denis.
Le sépulcre est troublé dans ses mornes ténèbres ;
La mort de ces cercueils funèbres
Resserre les rangs incomplets.
Silence au noir séjour que le repos protège !
Le roi chrétien, suivi de son dernier cortège,
Entre dans son dernier palais.
Un autre avait dit : « De ma race
« Ce grand tombeau sera le port ;
« Je veux aux rois que je remplace
« Succéder jusque dans la mort ;
« Mon cercueil ici doit descendre :
« C’est pour faire place à ma cendre
« Qu’on dépeupla ces noirs caveaux ;
« Il faut un nouveau maître au monde :
« À ce sépulcre que je fonde
« Il faut des ossements nouveaux.
« Je promets ma poussière à ces voûtes funestes.
« À cet insigne honneur ce temple a seul des droits ;
« Car je veux que le ver qui rongera mes restes
« Ait déjà dévoré des rois.
« Et lorsque mes neveux, dans leur fortune altière,
« Domineront l’Europe entière
« Du Kremlin à l’Escurial,
« Ils viendront tout à tour dormir dans ces lieux sombres,
« Afin que je sommeille escorté de leurs ombres
« Dans mon linceul impérial. »
Celui qui disait ces paroles
Croyait, soldat audacieux,
Voir en magnifiques symboles
Sa destinée écrite aux cieux.
Dans ses étreintes foudroyantes,
Son aigle, aux serres flamboyantes,
Eut étouffé l’aigle romain ;
La victoire était sa compagne
Et le globe de Charlemagne
Était trop léger pour sa main.
Eh bien ! des potentats ce formidable maître,
Dans l’espoir de sa mort par le ciel fut trompé ;
De ses ambitions c’est la seule peut-être
Dont le but lui soit échappé.
En vain tout secondait sa marche meurtrière,
En vain sa gloire incendiaire
En tous lieux portait son flambeau.
Tout chargé de faisceaux, de sceptres, de couronnes,
Ce vaste ravisseur d’empires et de trônes
Ne put usurper un tombeau.
Tombé sous la main qui châtie,
L’Europe le fit prisonnier ;
Premier roi de sa dynastie
Il en fut aussi le dernier.
Une île où grondent les tempêtes
Reçut ce géant des conquêtes,
Tyran que nul n’osait juger,
Vieux guerrier qui, dans sa misère,
Dut l’obole de Bélisaire
À la pitié de l’étranger.
Loin du saint monument qu’il se promit naguère,
C’est là que, dépouillé du royal appareil,
Il dort enveloppé de son manteau de guerre,
Sans compagnon de son sommeil.
Et tandis qu’il n’a plus de l’empire du monde
Qu’un noir rocher battu de l’onde,
Qu’un vieux saule battu du vent,
Un roi longtemps banni, qui fit nos jours prospères,
Descend au lit de mort où reposaient ses pères
Sous la garde du Dieu vivant.
C’est qu’au gré de l’humble qui prie,
Le Seigneur, qui donne et reprend,
Rend à l’exilé la patrie,
Livre à l’exil le conquérant !
Dieu voulait qu’il mourût en France
Ce roi si grand dans la souffrance,
Qui des douleurs portait le sceau,
Pour que, victime consolée,
Du seuil de son noir mausolée
Il pût voir encor son berceau.
Oh ! qu’il s’endorme en paix dans la nuit funéraire !
N’a-t-il pas oublié ses maux pour nos malheurs ?
Ne nous lègue-t-il pas à son généreux frère
Qui pleure en essuyant nos pleurs !
N’a-t-il pas, dissipant nos rêves politiques,
De notre âge et des temps antiques
Proclamé l’auguste traité ?
Loi sage qui, domptant la fougue populaire,
Place au-dessus de tous un maître tutélaire
Esclave de leur liberté.
Sur nous un Roi chevalier veille :
Qu’il conserve l’aspect des cieux !
Que nul bruit de longtemps n’éveille
Ce sépulcre silencieux !
Hélas ! le démon régicide
Qui, du sang des Bourbons avide,
Paya de meurtres leurs bienfaits,
A comblé d’assez de victimes
Ces murs dépeuplés par des crimes
Et repeuplés par des forfaits !
Qu’il sache que jamais la couronne ne tombe !
Ce haut sommet échappe à son fatal niveau.
Le supplice où des rois le corps mortel succombe
N’est pour eux qu’un sacre nouveau.
Louis, chargé de fers par des mains déloyales,
Dépouillé des pompes royales,
Sans cour, sans guerriers, sans hérauts,
Gardant sa royauté devant la hache même,
Jusque sur l’échafaud prouva son droit suprême
En faisant grâce à ses bourreaux.
De Saint-Denis, de Sainte-Hélène
Ainsi je méditais le sort,
Sondant, d’une vue incertaine,
Ces grands mystères de la mort.
Qui donc êtes-vous, Dieu superbe ?
Quel bras jette les tours sous l’herbe,
Change la pourpre en vil lambeau ?
D’où vient votre souffle terrible ?
Et quelle est la main invisible
Qui garde les clefs du tombeau ?
Victor HUGO.
Paru dans les Annales romantiques en 1825.