La grand-mère
« Dors-tu ?... réveille-toi, mère de notre mère !
« D’ordinaire, en dormant, ta bouche remuait ;
« Car ton sommeil souvent ressemble à ta prière.
« Mais, ce soir, on dirait la madone de pierre ;
« Ta lèvre est immobile, et ton souffle est muet.
« Pourquoi courber ton front plus bas que de coutume ?
« Quel mal avons-nous fait pour ne plus nous chérir ?
« Vois, la lampe pâlit, l’âtre scintille et fume ;
« Si tu ne parles pas, le feu, qui se consume,
« Et la lampe, et nous deux, nous allons tous mourir !
« Tu nous trouveras morts près de la lampe éteinte.
« Alors, que diras-tu quand tu t’éveilleras ?
« Tes enfants, à leur tour, seront sourds à ta plainte.
« Pour nous rendre la vie, en invoquant ta sainte,
« Il faudra bien longtemps nous serrer dans tes bras !
« Dieu ! que tes bras sont froids ! rouvre les yeux... Naguère,
« Tu nous parlais d’un monde où nous mènent nos pas,
« Et de ciel, et de tombe, et de vie éphémère ;
« Tu parlais de la mort... Dis-nous, ô notre mère !
« Qu’est-ce donc que la mort ?... Tu ne nous réponds pas ! »
Leur gémissante voix longtemps se plaignit seule.
La jeune aube parut sans réveiller l’aïeule.
La cloche frappa l’air de ses funèbres coups ;
Et, le soir, un passant, par la porte entr’ouverte,
Vit, devant le Saint Livre et la couche déserte,
Les deux petits enfants, qui priaient à genoux.
Victor HUGO.
Recueilli dans
Recueil gradué de poésies françaises,
par Frédéric Caumont, 1847.