La mort d’une rose

 

 

Un vase de cristal où languit une rose

Est là, tout près de moi. C’est dommage ; demain

Elle va s’effeuiller si j’y pose la main,

Ou si légèrement d’eau fraîche je l’arrose.

 

J’aurais dû la laisser parmi les fleurs, ses sœurs,

La laisser au soleil, à sa tiède caresse,

À la brise de nuit qui berce avec tendresse,

Au matin pâle et bleu qui la couvre de pleurs.

 

J’aurais dû la laisser croître au bord de la route.

Une fille en passant l’eût mise à ses cheveux ;

L’amoureux l’eût cueillie à l’instant des aveux.

Après il l’eût baisée en soupirant, sans doute.

 

Devant la Vierge sainte elle aurait pu mêler

Aux effluves d’encens sa senteur printanière,

Puis mourir, lorsqu’un ange, ayant fait sa prière,

Viendrait, en s’envolant, de l’aile la frôler.

 

Une femme aurait pu de ses longs doigts d’Infante

La mettre à son corsage élégamment brodé ;

Faisant des envieux prés du cœur bien gardé.

Elle aurait pu paraître en un bal, triomphante.

 

Elle aurait pu mourir dans un missel très vieux,

Jadis enluminé par quelque châtelaine :

On aurait, en l’ouvrant, cru que sa douce haleine

Était parfum de mode au temps de nos aïeux.

 

Vous l’avez prise, enfant mélancolique et frêle ;

Sur votre cœur, amie, elle resta longtemps,

Puis mourut. – On ne veut pas mourir à vingt ans ! –

Je voudrais vous aimer, et puis mourir comme elle !

 

 

 

Pierre HUGUENIN.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1894.

 

 

 

 

 

 

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