L’étoile du marin

 

 

Océan ! Océan ! – je te crains et je t’aime ;

J’aime ton grand repos et ton courroux suprême,

L’azur diamanté de tes vastes déserts

Et l’ouragan qui court sur les gouffres ouverts.

Je t’aime ; – emporte-moi sur ta lame d’albâtre,

Avec les alcyons vers l’horizon bleuâtre,

Vers les pays rêvés... – Sur tes flots radieux

Je puis quitter la terre et m’approcher des cieux...

L’air me paraît plus pur, l’Immensité plus grande !

 

Sous le ciel assombri du golfe de Finlande,

Où les côtes du Nord, portant toujours le deuil,

Se baignent dans des eaux tristes comme un cercueil,

Un canot louvoyait, luttait contre l’orage,

Sans rames, sans boussole – et pour tout équipage

N’avait que trois marins très jeunes, mais hâlés

Déjà par les autans. Sur les flots isolés

La barque faisait peine à voir : sa voile grise

Tremblotait sous le vent, rapiécée et mal mise.

 

Ils se sentaient perdus à treize nœuds du port,

Et l’abîme, sous eux, réfléchissait la mort.

Rien, – et pas de fanal pour éclairer la route ; –

Une étoile, une seule, égayait cette voûte

Plus noire que la nuit.

                                    Le marin est pieux :

Dans sa vie agitée, – une suite d’adieux, –

Toujours prêt à mourir, en quittant la patrie,

Il prend le médaillon de la Vierge Marie,

Un souvenir touchant des plus chères amours,

Une fleur quelquefois, – la Madone toujours !

– Ils étaient à genoux dans l’étroite nacelle :

« Étoile, disaient-ils, flamme douce et fidèle,

Daignez ouïr nos chants, notre accent enfantin ;

Soyez notre salut, étoile du marin !

Étoile qui brillez sur le front de la Vierge

Et dans la nuit du temps demeurez comme un cierge,

Phare miraculeux, astre lointain et beau,

Pour une âme croyante admirable flambeau,

Portez à la Meilleure entre les Excellentes

Les mots les plus aimés des prières ferventes

Et dites-Lui qu’ici, – résignés et sans peur,

Ayant la foi, l’amour et l’espérance au cœur,

Esseulés sur les flots, et dans une avarie, –

Trois hommes en détresse ont murmuré : Marie ! »

 

Quand ils eurent fini, le vent souffla moins fort :

La vague rebondit dans un dernier effort,

S’aplatit et mourut sur les rocs de la plage,

Et la mer se calma sous un ciel sans nuage.

 

 

 

C. HULÉWICZ.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1890.

 

 

 

 

 

 

 

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