Prologue de « Stella »

 

 

Connaissez-vous la ville au climat sans hiver,

Où la vigne, en pliant, se baigne dans la mer ?

Ce coin délicieux de la verte Crimée,

Cet immense jardin où la rose, l’œillet,

Où le myrte fleurit, où le frêle muguet

            Frissonne dans l’herbe embaumée ?

 

Connaissez-vous la mer, la mer au flot d’azur ?

L’écume qui jaillit sur le rivage obscur

Blanchissant les écueils de la plage embrumée ?

L’onde qui vous apporte un souffle endolori,

Comme un triste regard, comme un rayon chéri

            Des yeux de votre bien-aimée ?

 

J’aime, Jalta, ton sol, tes monts et tes cyprès,

Le silence qui règne au fond de tes forêts,

Tes sommets nuageux et tes roches dressées,

La vague qui te livre un éternel assaut,

Et tes bleus horizons qui s’étendent plus haut,

            Plus loin que mes sombres pensées ;

 

Ton ciel, que le soleil ose à peine embraser,

Pâle comme un grand deuil et doux comme un baiser,

Éternellement pur, au charme plein d’ivresse...

Je voudrais vivre ici, dans la foule isolé,

Loin de tous les regards effeuiller ma jeunesse

            Dans un amour ensoleillé.

 

J’aime ton golfe bleu, ta brise qui caresse,

Tes nuits au manteau noir, en leur pâle tristesse

Plus douces que le jour, au langage sans voix.

Mais j’aime encore plus tes contes populaires,

Écrits sur tes rochers, racontés par tes pierres,

            Souvenirs des temps d’autrefois.

 

Là tout n’est que légende, histoire merveilleuse ;

Chaque grotte a son gnome et sa fée orgueilleuse ;

Si vous sortez la nuit, vous entendez tout bas

Les spectres, en passant, pleurer dans les ténèbres ;

Un fantôme vous frôle, et des ombres funèbres

            Marchent avec vous pas à pas.

 

Le soir descend des monts. Vous rêvez, belle dame.

Songez-vous que ce roc recouvre tout un drame ?

Songez-vous qu’une femme, au regard chaste et doux,

Venait, triste, autrefois, rêver à cette place,

Ici même, et, – qui sait ? – bien que d’une autre race,

            Peut-être aussi belle que vous ?

 

 

 

Casimir HULÉWICZ.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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