Vérité
Près du vieux chêne assis, sur la montagne sombre,
Voyageur, je contemple un spectacle changeant,
Le crépuscule noir disparaître avec l’ombre
Que semble devant lui chasser l’agile vent ;
Le sourcilleux diamant, empreint sur la couronne
Du monde, à la lumière a caché son éclat...
Mille fois heureux si, content des biens que donne
Dans sa sage bonté des Cieux le potentat,
Sans cesse je pouvais sourire à ces merveilles
Que produisit d’un mot le fécond Créateur...
Mais un lugubre son a frappé mes oreilles,
De la commune loi le signe précurseur :
« Marche ! Marche ! jamais le bonheur au mortel !
Dit l’Éternel. »
La nuit succède au jour, de la nuit naît l’aurore ;
Maintenant le plaisir, demain le noir tombeau !
Et dans ce changement, l’homme toujours adore
Et flatte le bonheur dans un vague flambeau.
Mon âme tu souris au rayon d’espérance,
Trop douce illusion que couronne la fleur
Avant l’âge arrachée au berceau de l’enfance.
Ô torrent du plaisir ! fais couler dans mon cœur,
Plongé dans l’infortune, une onde fortunée,
Sur tes bords bienfaisants naîtra le vert rameau ;
À l’autel j’offrirai la victime sacrée...
Vas-tu combler mes vœux ? L’avenir est si beau.
« L’avenir, ton bonheur.... tout poussière ! Ô mortel,
Dit l’Éternel. »
J’ai fixé mes regards sur la verte campagne :
Le soleil de ses feux jaunissait le guéret ;
Lançant son rouge char du haut de la montagne,
Il dit à l’univers : « Souris au beau bosquet ;
Adore ma lumière et toujours dans ma course
Tu verras mon amour, j’embellirai ton sein ;
Mon nom est proclamé par la limpide source ;
De tes champs, des moissons la vie est dans ma main... »
Salut, Astre adoré ! tu ranimes mon être ;
Gloire à toi ! bienfaisant, dans ta course d’un jour,
J’ai cru sentir mon cœur plus soulagé renaître
À la fois, à la vie, au bonheur, à l’amour.
« Ta vie et ton amour... c’est le néant ! Mortel,
Dit l’Éternel. »
L’aigle d’un vol rapide a traversé la nuée ;
Prêt de toucher la terre il fixe son objet ;
Sur les champs plane ainsi ma rapide pensée,
Elle poursuit l’oiseau volant dans la forêt ;
Elle rit au vallon où règne le silence ;
Le murmure des peuples y meurt en arrivant,
Comme un son éloigné, perdu dans la distance.
Que la lumière est pure ; et qu’il est doux le vent !
Oh ! c’est là qu’entouré d’un tapis de verdure,
D’une retraite sûre et bornée à mes yeux
Je vais bâtir ma hutte, et seul dans la nature,
Je ne verrai que l’onde et la blancheur des Cieux.
« Elle sera pour toi le tombeau... le bonheur !
Dit le Seigneur. »
Pierre-Gabriel HUOT.
Paru dans L’Artisan en 1843.
Recueilli dans Les textes poétiques du Canada français,
vol. IV, Fides, 1991.