Des anges moissonnaient

 

 

Des anges moissonnaient à l’heure où bout la ruche.

On voyait sous un arbre et dans l’herbe leur cruche.

 

On eût dit que le ciel aspirait de l’amour

au-dessus des épis débordant de labour.

 

De temps en temps l’un de ces anges touchait terre

et buvait à la cruche une gorgée d’eau claire.

 

Sa joue était pareille à la rouge moitié

de la pomme qui est l’honneur du compotier.

 

Il reprenait son vol, et d’abord sa faucille.

Quelque autre alors foulait l’ombre qui fait des grilles.

 

Ou tous ils descendaient ensemble, ou bien encor

ensemble reprenaient avec calme l’essor !

 

Chacun avait passé le bras à sa corbeille

dont les tresses formaient comme un essaim d’abeilles.

 

Clarté fondue à la clarté, ces travailleurs

récoltaient du froment la plus pure des fleurs.

 

Ils venaient visiter sur ce coin de la terre

la beauté que Dieu donne à la vie ordinaire.

 

S’ils s’élevaient, leurs yeux vers un enclos banal

s’abaissaient où l’aïeul assis lit son journal.

 

La ferme était massive avec des ombres larges

que le soleil des blés encadrait de ses marges.

 

Les ailes rabattues des contrevents épais

ménageaient au dedans l’ombre, sœur de la paix.

 

Le bonheur entourait cette maison tranquille

comme une eau bleue entoure exactement une île.

 

Là, père, mère, enfants rompaient avec amour

à côté de l’aïeul le pain de chaque jour.

 

Les mêmes anges dont les moissons s’embellissent

inspiraient les propos de ces gens sans malice.

 

Il faut, le blé, disait le père, est abondant,

faire la part de Dieu plus grande au mendiant.

 

Il faut, disait la mère, en pensant à sa fille,

économiser l’or que fait choir la faucille.

 

Il faut, disait un fils, des chiens qui aient bon pied :

quand le chaume est nombreux, nombreux est le gibier.

 

L’une des brus disait : il faudra cette année

Remplacer du salon les étoffes fanées.

 

Il faut, disait la fille, au goût peu compliqué,

à mon chapeau de paille un champêtre bouquet.

 

Il faut, disait l’aïeul, quand l’épi ploie la tête,

et le vieux, que la tombe et la grange soient prêtes.

 

 

 

Francis JAMMES, Les Géorgiques chrétiennes.

 

Recueilli dans Poètes de la famille du XVIe au XIXe siècle, Casterman, s. d.

 

 

 

 

 

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