En Dieu

 

 

                                                              À Edmond Pilon.

 

 

Douce année à venir de la Vie éternelle :

Primevères qui ne vous fanerez plus... Ailes

d’oiseau jamais fermées... Iris... Et gaies ombrelles...

 

Gaies ombrelles d’enfants, et rires d’un Jeudi

qui ne finira plus... Silence de Midi...

Joie calme qui s’étend aux champs du Paradis...

 

J’ai faim de toi, ô Joie sans ombre ! faim de Dieu.

Lorsque je serai mort, fermez-moi les yeux

pour qu’au dedans je voie enfin s’ouvrir les Cieux.

 

Absence de tout mal... Ô jour d’un Jour doré !

où, sans nuit à son âme, on verra s’étaler

les ailes de métal de l’azur sur les blés.

 

Je veux voir, car je suis plongé dans ce mensonge

qu’est la vie qui n’est pas la Vie. Que Dieu me plonge

dans Ce Qui Est. Pleurez, ma chercheuse d’oronges.

 

Mon amie dont la voix perçait le cœur des bois :

si douce qu’elle fût, il me faut une voix

plus douce, et une Amour plus douce encor que toi...

 

Choses, je ne vous ai pas vues encore... Roses,

comment donc êtes-vous au Ciel où est éclose

la Rose de mon Dieu où mon Dieu se repose ?

 

Voir un jour dans le Ciel ceci : cette maison

d’où je reviens et où tu fus. C’est la saison

de la neige, après-midi d’Annonciation.

 

Chère Eugénie, sur cette neige, il y avait

des empreintes de pieds d’oiseau, et j’ai posé

mes pas sur ces pas délicatement tracés.

 

Ô toi qui vois du Ciel comment ces choses sont :

que je puisse les voir plus tard à l’unisson

de ton cœur, en l’Été des Résurrections !

 

...Sont-ce des colibris verts là où l’Indienne

– ta belle-sœur – et ses amies rient sous les chênes,

vers le ruisseau ? Ô pauvres rideaux d’indienne !

 

Salut, grande âme, ô sœur au front droit comme Dieu,

amère et sainte ! Réponds-moi du haut des cieux ?

Que vois-tu que je n’aperçoive en ces doux lieux ?

 

Cette eau est plus courante encor que dans la vie,

l’eau aux yeux bleus comme toi-même. Et la prairie

majestueuse ne s’éteint plus. Il est Midi.

 

Et le brasier de l’herbe en fleurs chante en dormant.

Et les lourds papillons du nouveau Firmament

vont et viennent à la lueur du Tout-Puissant.

 

Annonciation de l’âme en ce Dimanche...

– Mon frère, que vois-tu ? – Je vois les fumées blanches

que font à l’horizon les chemins qui serpentent.

 

– Que vois-tu ? – Que vois-tu ? – Cette tapisserie

où ma prière et ma pensée anéantie

se brisaient, cette tapisserie si flétrie...

 

cette tapisserie de ta chambre glacée,

cette tapisserie humide où finissait

le monde – ainsi pour moi ! – alors que tu vivais...

 

Comment la vois-tu dans cette chambrette austère

où ta désolation grande comme la Terre

s’épandait ardemment en muettes prières ?

 

C’est donc là que tu as appelé mon Dieu,

avec des mots si purs qu’ils formèrent ce creux

où le voyant qui meurt entre enfin dans les Cieux ?

 

Cayla ! Cayla ! Les jeunes filles vagabondes

sont venues. Elles ont noué leurs tresses blondes

aux tresses qu’en courant le soleil fait à l’onde...

 

Le chat noir, quel est-il dans la noire cuisine ?

La giroflée sanglante au perron en ruine,

comment est-elle donc dans la Cité divine ?

 

L’enclos est éternel, le bosquet éternel,

Maurice, est éternel, le salon solennel

est éternel... Ma sœur, vois-moi du haut du Ciel ?

 

Ton misérable lit de servante du Ciel,

je sais que je ne l’ai pas vu tel qu’il est, tel

qu’en ce jour d’Annonciation Gabriel

 

le jonchait de perce-neige. Car il est dit,

car il est dit, ô vierge amère, à l’introït :

" Des chœurs de vierges près du Roi sont introduits. "

 

Béatitude, haies de roses, juins dorés,

baumes, sombres verdeurs des torrides forêts,

l’Amour vous frappera de son éternité.

 

 

 

Francis JAMMES.

 

Extrait de Clairière dans le ciel, Mercure de France.

 

 

 

 

 

 

 

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