Prière pour offrir à Dieu de simples paroles

 

 

Pareil à cet ouvrier que j’ai vu ce matin,

soucieux et courbé dans la pure lumière,

et qui sculptait des saints tout autour d’une chaire,

je veux mouler mon âme à de pieux desseins.

Il m’appela auprès de son humble établi,

et je considérai les images de bois :

la tête du lion aux pieds de Marc, et l’aigle

aux pieds de Jean, et Luc qui tenait dans ses doigts

un livre ouvert où devaient être de saintes règles.

Une main de l’ouvrier tremblait sur le ciseau ;

l’autre, levée, tenait, hésitante, un marteau.

Là-bas, le midi bleu dansait sur les ardoises.

D’un basilic flétri montait un pieux encens

vers les saints grossiers aux figures chinoises.

On eût dit qu’à travers la chaire villageoise

une sève rapide à jamais circulât

comme l’âme des nids dans les âmes des bois.

 

Mon Dieu, je n’ai point fait d’œuvre si belle et sainte.

Vous n’avez pas voulu, hélas, me faire naître

dans un pauvre logis, près de l’humble fenêtre

où danse une chandelle au soir des vitres vertes,

et où les rabots clairs chantent dès le matin.

Mon Dieu, j’aurais pour vous travaillé des images,

et les tendres enfants, au retour de l’école,

se seraient extasiés devant les rois mages

qui auraient apporté l’encens, l’ivoire et l’or.

J’aurais représenté, près de ces rois d’Orient,

une fumée en bois comme celle d’encens,

et j’aurais copié des calices de lys

pareils, humbles et beaux, à des verres de pauvres.

 

Mon Dieu, puisque je regrette encore aujourd’hui

que mon cœur ne soit pas assez simple pour vous,

laissez-moi vous offrir ces paroles bien simples

à défaut d’une chaire où la Vierge douce

aurait prié pour moi, le soir et le matin.

 

 

 

Francis JAMMES, Le deuil des primevères, 1898-1900.

 

 

 

 

 

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