Prière pour que le jour de ma mort soit beau et pur
Mon Dieu, faites que le jour de ma mort soit beau et pur.
Qu’il soit d’une grande paix ce jour où mes scrupules
littéraires ou autres, et l’ironie de la vie quitteront,
peut-être, la grande fatigue de mon front.
Ce n’est point comme ceux qui en font une pose
que je désire la mort, mais très très simplement,
ainsi qu’une poupée une petite enfant.
Vous savez, ô mon Dieu, qu’il y a quelque chose
qui manque à ce qu’on appelle le bonheur,
et qu’il n’existe point, et qu’il n’est pas de gloire
complète, ni d’amour, ni de fleur sans défaut,
et qu’à ce qui est blanc il y a toujours du noir...
Mais faites, ô mon Dieu, qu’il soit beau, qu’il soit pur,
le jour où je voudrais, poète pacifique,
voir autour de mon lit des enfants magnifiques,
des fils aux yeux de nuit, des filles aux yeux d’azur...
Qu’ils viennent, sans un pleur, considérer leur père,
et que la gravité qui sera sur ma face
les fasse frissonner d’un large et doux mystère
où ma mort leur apparaîtra comme une grâce.
Que se disent mes fils : La gloire est vaine et laisse
de l’inquiétude à ceux qui savent que Dieu seul
est poète en posant le parfum des tilleuls
aux lèvres doucement fraîches des fiancées.
Que se disent mes fils : L’amour c’est l’ironie
qui sépare les êtres alors qu’ils sont unis :
le cœur de notre père a souffert jusqu’encore
d’avoir quitté le cœur de sa chère Mamore...
Et que mes filles se disent à mon lit de mort :
Nous ne savons ce qui est au-delà du tombeau,
mais notre père meurt comme coule de l’eau
dans la belle clarté d’une forêt d’Automne...
Mon Dieu, faites que le jour de ma mort soit beau et pur,
que je prenne les mains de mes enfants dans les miennes
comme le bon laboureur des fables de La Fontaine,
et que je meure dans un grand calme du cœur.
Francis JAMMES, Le deuil des primevères, 1898-1900.