Le routier
– Au pied de cette croix d’ancienne mission,
Ô routier ! qui t’assieds déposant ton bissac
Où roulent pêle-mêle, avec des almanachs,
Du pain dur, des péchés, des humiliations :
On m’a dit que tu fus autrefois le poète
Dont les mains prodiguaient le miel de ses ruchers
À celles et à ceux qui rapprochaient leurs têtes
Pour entendre longtemps des abeilles chanter.
– Il est vrai, mais ils ont vieilli. Je reste jeune.
Leur âme ne connaît maintenant que le jeûne.
Ils ne pardonnent point que je sois encore là,
Qu’autour de mon visage ait poussé ce lilas.
Ainsi voit-on parfois dans le jardin vétuste
Où les adolescents se promènent, le buste
D’un poète dont est fendu le masque fruste
Mais envahi des fleurs du gracieux arbuste.
– Vieux routier, qu’attends-tu ? Ton bâton même tombe.
Ton chien est mort qui se fût couché sur ta tombe,
Et tes enfants sont dispersés. Tout est détruit.
– J’attends, chaque matin, que passe Jésus-Christ.
Francis JAMMES.
Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,
poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,
Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.