À l’éveil de l’été

 

 

J’aime les grands bois verts baignés d’un soleil d’or.

Aux premiers jours d’été, quand ruisselle la sève,

Recueilli dans sa force et perdu dans son rêve,

Le chêne séculaire est immobile, et dort.

 

Hâtons-nous. Voici l’heure où le soleil torride

Pèse plus lourdement sur les fronts et les bois,

Où, tendant leurs longs cous, les biches aux abois

Se penchent sur les eaux qu’aucun souffle ne ride.

 

Nous chercherons l’ombrage au revers du talus :

Un arbre l’a couvert de branchages difformes,

Et, soulevant le sol, les racines énormes

Sont comme des serpents qui ne bougeraient plus.

 

Mais quand sur le gazon ton pied mignon se pose

Et quand ta blanche main prend des rieurs au buisson,

Il n’est pas à mes yeux de plus vaste horizon,

Il n’est pas à mon cœur de retraite mieux close.

 

Le géant des forêts dort son puissant sommeil.

Regarde : déployant sa verdeur et sa masse,

Il laisse à peine voir un coin bleu de l’espace

Et filtrer sur nos fronts la clarté du soleil.

 

La plaine devant nous s’étend, grandit encore,

Les clochers et les bourgs sont blottis dans les blés ;

Et, quand passent des sons d’Angelus envolés,

On rêve aux nids cachés d’où monte un chant sonore,

 

Là-bas un moissonneur jette un mâle refrain,

Des parfums sont dans l’air mêlés à des murmures,

Et la lumière court parmi les moissons mûres,

Jusqu’à l’horizon rose, au bord du ciel d’airain.

 

J’entends l’épi bruire, et se fendre l’écorce ;

Le bois, derrière nous, est plein d’ombre et de paix ;

Et, dans ce grand tableau, sous ces rameaux épais,

Je contemple le calme et j’acclame la force.

 

La vigueur est au fond du silence des bois

Et des sillons dormants sous la lune immobile.

On rêve, malgré soi, d’une vierge nubile

Qui porterait un monde en des flancs trop étroits.

 

Toi, le trouble des sens a mouillé tes prunelles.

Les choses et les lieux t’ont parlé comme à moi :

La nature t’a prise ; et tu vis dans l’émoi

De la Terre livrée aux amours éternelles.

 

Et ton âme a, peut-être, entrevu vaguement

Dans les ardents baisers du Soleil à la Terre,

Une communion d’amour et de mystère

Qui mêle l’homme à l’ange et l’ange à l’élément.

 

Aimons-nous donc, pareils à ces amants superbes

Qui, sur le monde vierge, errants en liberté,

Au soleil étalaient leur robuste beauté

Et pour lit nuptial prenaient les hautes herbes ;

 

Tandis que, déroulant son pavillon de feu

Et versant la chaleur aux germes de la vie,

Pour le corps palpitant et l’âme inassouvie

Le soleil achevait la grande œuvre de Dieu !

 

 

 

Ludovic JAN.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1892.

 

 

 

 

 

 

 

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