La charité
Aux musiciens de Tonneins, qui venaient de donner un grand concert pour les pauvres, avec moi.
En voyant de grandes maisons voyageuses glisser sur les flots tranquilles ou agités, qui emportent dans un autre hémisphère l’homme intrépide ; en le voyant traverser les airs ; en voyant des savants célèbres illustrer, par des découvertes sublimes, les siècles qui s’enfuient, l’homme crie sans cesse : Bon Dieu ! que l’homme est grand ! et moi je dis : Bon Dieu ! qu’il est petit ! S’il a du génie, qu’il apprenne que le génie n’est rien sans la bonté ; que sans elle il n’y a pas de grandeur possible ici-bas ! Seul, l’homme bienfaisant, quand il secourt son semblable, furtivement, en cachette, est grand en ne faisant que son devoir ; il est grand comme le monde ! grand comme l’immensité ! grand comme Dieu !
La grandeur de Dieu ne brille de tout son éclat que dans sa bonté ; c’est elle qui réchauffe de sa douce haleine la terre refroidie par les frimas, et étanche, par une rosée bienfaisante et sacrée, la soif brûlante de la canicule.
Que l’homme agisse ainsi : il y a des angoisses cruelles qui se cachent dans des réduits obscurs ; qu’il aille les déterrer dans ces étroites demeures, et qu’au lieu de compter les astres et les étoiles, il compte ici-bas le nombre des malheureux ! il ne suffit pas, pour tuer la misère, de jeter en passant, d’un air dédaigneux, quelques sous au pauvre déguenillé, qui ouvre la bouche de faim ; qu’il aille l’hiver, pendant qu’il gèle et qu’il grêle, qu’il aille dans ces petites maisons encombrées de famille, et s’il aperçoit un ouvrier triste et rêveur, disant à ses enfants qui versent des larmes : « Ah ! petits, que le temps est dur ! » Oh ! alors, qu’il laisse tomber là, sans bruit, en cachette, oh ! qu’il laisse tomber les bienfaits de la charité ; car il est aussi amer de la recevoir, qu’agréable de la faire !
Vous donc, qui jouissez du bonheur de faire la charité, vous êtes ses apôtres aujourd’hui ; aussi votre concert n’en est que plus délicieux. Les sons harmonieux de vos instruments vont se changer, dans les airs, en une rosée de miel ; chaque pauvre malheureux en recevra quelques gouttes : plus de douleurs ! votre exemple sera imité partout. Sonnez ! sonnez, Messieurs ! On peut rire, chanter, quand le fruit de ce rire arrête les larmes des malheureux ! !
JASMIN.
Recueilli dans Le troubadour moderne ou
Poésies populaires de nos provinces méridionales,
traduites en français par M. Cabrié, 1844.