Dialogue entre un homme et une rose
À Mademoiselle
Rosaria Desjarlais.
L’homme
– Hâtez-vous de répandre un parfum enivrant,
Petite fleur bientôt fanée.
Hâtez-vous, le soleil demain en se levant
Verra vos corolles fermées.
La rose
– La vie est pourtant belle et c’est tôt pour mourir ;
Je n’ai fait qu’entrevoir la vie ;
Quel est le sort cruel qui veut me la ravir ?
Est-ce mon bonheur qu’on envie ?
L’homme
– La vie est bien amère et qui meurt est heureux ;
Qui meurt en faisant sa prière.
La mort est bonne alors, et plus d’un malheureux
Lui tend les bras comme à sa mère.
La rose
– Moi j’ai peur de la mort, et j’aime le soleil,
Le zéphyr, sa douce caresse,
Les oiseaux, le printemps et son aspect vermeil,
Tout, – hors la mort et la tristesse.
L’homme
– Hâtez-vous de mourir, c’est l’automne tantôt ;
N’attendez pas le froid automne.
Évitez la douleur des longs soirs où s’enclot
Celui que l’abandon façonne.
La rose
– Ô mon sort ! ô mon sort ! comme il est malheureux
De ne goûter qu’un peu la vie ! –
L’homme
– Ô mon sort ! ô mon sort ! que ne suis-je de ceux
Dont la faim n’est pas assouvie !
Amédée JASMIN, Au pays des ailes, 1915.