Le bon grain

 

 

Quand l’Aube lumineuse entrouvre sa corolle

Comme une fleur éclose en un pays lointain,

Le moissonneur, qui sait la sainte parabole,

Dans les champs de blé mûr va cueillir le bon grain.

 

Il emmène avec lui sa pieuse famille :

La mère souriante et l’enfant assoupi.

Puis, au pied des moissons déposant sa faucille,

Dans sa main rude et forte il écrase un épi.

 

La brise du matin tourbillonne et s’avance,

Chevauchant sur les blés qui balancent leurs fronts

Dans la vague onduleuse, où la plaine, en silence,

Semble un océan d’or déroulant ses flots blonds.

 

Le moissonneur, alors, lève au ciel sa main pleine

De la cosse et du grain de l’épi mûr froissé,

Et, comme Dieu, lorsqu’il brise quelque âme humaine,

Il attend que les vents du matin aient passé.

 

Les vents sépareront le bon grain de la paille.

Si l’épi blond résiste et qu’il soit lourd et dur,

Le moissonneur dira : « C’est du blé de semaille ;

« Laissons mûrir encor le froment déjà mûr. »

 

Mais si le grain léger tourbillonne et voltige.

S’il suit la cosse vide et la paille en son vol,

Le moissonneur, prenant l’épi d’or par la tige,

Ramassera son fer étendu sur le sol.

 

Et, de cette façon, la parole sévère

Écrite avec du sang dans le livre éternel :

« Qu’on ôte à qui se meurt, qu’on donne à qui prospère »,

Se réalisera sous la splendeur du ciel.

 

 

 

Pierre JAY.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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