J’entrai où je ne savais

 

 

j’entrai où je ne savais

et je restai ne sachant

toute science dépassant

 

je ne sus pas où j’entrais

pourtant quand là je me vis

sans savoir où j’étais

grandes choses je compris

je ne dirai ce que sentis

car je restai ne sachant

toute science dépassant

 

de paix et de piété

la science était parfaite

en profonde solitude

entendue directement

c’était chose tant secrète

que je restai balbutiant

toute science dépassant

 

j’étais tant pénétré

tant absorbé tant ravi

que mon sens demeura

de tout sentir privé

et l’esprit fut doté

d’un entendre sans entendre

toute science dépassant

 

celui qui parvient là de vrai

de soi-même il s’absente

tout ce qu’il savait d’abord

très bas lui paraît

et sa science tant s’accroît

qu’il demeure ne sachant

toute science dépassant

 

d’autant plus haut il s’élève

et d’autant moins il entend

ce qu’est la ténébreuse nuée

qui éclairait la nuit

aussi bien qui la connaît

reste toujours ne sachant

toute science dépassant

 

ce savoir qui ne sait pas

est de si haute puissance

que de sages par arguments

jamais ne le peuvent vaincre

il ne parvient leur savoir

à n’entendre pas entendant

toute science dépassant

 

et de si haute excellence

est ce suprême savoir

qu’il n’est faculté ni science

qui puisse y prétendre

celui qui saura se vaincre

avec un non savoir sachant

ira toujours dépassant

 

et si tu le veux ouïr

cette suprême science

consiste en un haut sentir

de la divine essence

c’est œuvre de sa clémence

faire demeurer n’entendant

toute science dépassant

 

 

 

Saint JEAN DE LA CROIX.

 

Traduction de Benoît Lavaud, o. p.

 

Paru dans Les Cahiers du Rhône, avril 1942.

 

 

 

 

 

 

 

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