Pour toute la beauté

 

 

Pour toute la beauté

jamais je ne me perdrai

sinon pour un je ne sais quoi

qui s’atteint d’aventure

 

la saveur d’un bien fini

le plus qu’elle puisse faire

c’est de fatiguer l’appétit

et de gâter le palais

aussi pour nulle douceur

jamais je ne me perdrai

sinon pour un ne sais quoi

qui se trouve d’aventure

 

le cœur généreux

tient à ne jamais s’arrêter

où l’on peut passer

hormis le plus difficile

rien ne lui fait rassasiement

et sa foi monte si haut

qu’il goûte d’un ne sais quoi

qui se trouve d’aventure

 

celui qui d’amour a douleur

de l’être divin touché

a le goût si transformé

qu’il ne sait plus rien goûter

comme celui qui a la fièvre

a dégoût des mets qu’il voit

mais appétit d’un ne sais quoi

qui se trouve d’aventure

 

ne vous émerveillez pas

que le goût demeure tel

car la cause du mal est

étrangère à tout le reste

et ainsi toute créature

rendue étrangère se voit

et goûte d’un ne sais quoi

qui se trouve d’aventure

 

car la volonté étant

de la déité touchée

elle ne peut rester payée

que de la divinité

mais telle en est la beauté

qui se voit par seule foi

qu’elle la goûte en un ne sais quoi

qui se trouve d’aventure

 

or d’un tel énamouré

dites-moi si auriez douleur

de ce qu’il ne trouve saveur

parmi tout le créé

mais sans forme ni figure

sans trouver appui ni pied

goûte là un ne sais quoi

qui se trouve d’aventure

 

ne pensez pas que l’intérieur

qui tant l’emporte en valeur

trouve joie et allégresse

en ce qui donne ici saveur

mais sur toute beauté

et ce qui sera et fut

goûte là un ne sais quoi

qui se trouve d’aventure

 

 

 

Saint JEAN DE LA CROIX.

 

Traduction de Benoît Lavaud, o. p.

 

Paru dans Les Cahiers du Rhône, avril 1942.

 

 

 

 

 

 

 

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