La cathédrale de Strasbourg

 

 

Seigneur, si votre peuple en sa triste folie

Pour des biens mensongers si souvent vous oublie,

Ah ! nous vous bénissons de ce que, parmi nous,

Ce qu’on voit de plus beau, mon Dieu, fut fait pour vous ;

De ce que, par-dessus tous les bruits de la terre,

Bruits de cupidité, bruits de haine et de guerre,

Bruits du passé qui tombe et du présent qui fuit,

Vaine agitation du jour et de la nuit,

Voix de l’ambition, plainte de la souffrance,

Vous avez fait monter le cri de l’espérance !

Légers festons de pierre autour des saints vitraux,

Cintres, piliers hardis, colonnes en faisceaux,

Dites qui vous créa. Fût-ce la main des anges ?

Et voyait-on parfois des célestes phalanges

Passer les voiles blancs et les écharpes d’or,

Quand de la flèche au ciel elles prenaient l’essor ?

Non, ce ne fut point eux ; non, non, ce sont des hommes,

Des hommes impuissants, pauvres comme nous sommes.

Ils ont dit : Travaillons ! et que Dieu vienne là !

Et puis ils ont prié, puis ils ont fait cela.

Salut ! portail sacré : salut ! flèche gothique ;

Salut ! temple béni, vieux géant catholique,

Qui des saints monuments, palais du Roi des rois,

As su porter plus haut le signe de la croix.

Ô toi, de nos aïeux magnifique héritage,

À tous leurs descendants parle un divin langage :

Puisqu’il faut en passant vers toi lever les yeux,

Ils seront bien forcés de regarder les cieux,

Oh ! dis-leur qu’il est triste et qu’il est misérable

De ne voir ici-bas qu’un peu d’or et de sable ;

Dis-leur que l’homme est grand quand il est à genoux

Devant le Dieu si grand qui s’abaissa pour nous ;

Dis-leur qu’il faut à l’âme un lumineux mystère,

Et qu’elle se dilate et vit dans la prière ;

Que leurs riches palais s’écrouleront demain,

Et que tu resteras, toi, jusques à la fin.

Qu’au dernier jour encor Dieu respecte ta cime,

Et que seule elle plane au-dessus de l’abîme,

Pour être un piédestal à l’archange vainqueur

Qui viendra réveiller les élus du Seigneur !

 

 

 

Marie JENNA,

Élévations poétiques et religieuses,

1880.

 

 

 

 

 

 

 

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