Aux faux docteurs
Vous qui n’avez pas vu tomber du sanctuaire
Les rayons de la vérité,
Que nous apportez-vous ? et que venez-vous faire
Au chemin de l’humanité ?
Venez-vous arracher son phare du rivage,
Ses étoiles de l’horizon ?
Venez-vous l’étouffer en serrant le grillage
Aux fenêtres de sa prison ?
Laissez-nous ! vous n’avez plus rien à dire aux hommes :
Malgré vous le monde est sauvé.
Nous savons ce qu’est Dieu ; nous savons qui nous sommes ;
Avant vous Jésus s’est levé.
Du monde en esclavage il souleva les chaînes
Il montra le chemin du céleste séjour ;
Il releva les fronts, il étouffa les haines
Dans l’étreinte de son amour.
Depuis que sur nos maux ses mains vinrent s’étendre,
En son sein doucement les larmes ont coulé.
Quoi ! vous aimez le monde et vous venez lui prendre
Le seul nom qui l’ait consolé !
Et si notre âme l’abandonne,
Où donc allez-vous la mener ?
Si vous prenez ce qu’il nous donne,
Dites, qu’avez-vous à donner ?
Rien que l’ignorance, le doute,
Jetant leur ombre sur nos pas !
Devant nous la fatale route
Qui s’enroule et n’arrive pas !
En nos maux, plus d’ami suprême
Qui nous console et qui nous aime
Et soulève notre fardeau.
Dans notre nuit pas un beau rêve,
Et pas un rayon qui se lève
De l’autre côté du tombeau !
Et puis quoi !... le bonheur suprême
De relever de sa raison,
D’être son seigneur à soi-même ?
Ô cruelle dérision !
Qu’importent aux aigles leurs ailes
Si l’espace manque autour d’eux !
Leur audacieuse prunelle,
S’il n’est plus de soleil aux cieux !
Ô Christ ! ô Rédempteur ! la terre te salue !
Elle jette à tes pieds son cœur et sa raison ;
Écoute les accents de sa prière émue :
Reste à son horizon !
Lorsque tu descendis, lorsque, voilant ta gloire,
Tu lui dis que le ciel était las de punir,
Et que pour la sauver son Dieu venait mourir,
Souviens-toi qu’elle osa le croire !
Souviens-toi de son sang pour ton nom répandu,
Et de ses passions à tes pieds apaisées,
Des temples renversés, des idoles brisées,
Du long cri qui t’a répondu !
Si l’impiété rit de l’hymne qui t’adore,
Si de ses cris de haine elle veut le couvrir,
Regarde ! parmi nous tu peux compter encore
Ceux qui pour toi sauraient mourir.
Oh ! qu’importe le flot qu’un autre flot emporte ?
Le temps fuit : sous tes pieds tu vois passer son cours.
Comme un torrent l’orgueil monte et mugit : qu’importe ?
Tu promis de rester toujours !
Et vous, marchez, troupe égarée.
Marchez !... par un suprême effort
Couronnez votre œuvre de mort.
Par nos anciens combats notre âme est rassurée.
Oui, d’avance nous contemplons
Vos tours de Babel écroulées ;
Et d’âge en âge nous ferons,
Sur leurs pierres amoncelées,
Monter nos adorations.
Marie JENNA,
Élévations poétiques et religieuses,
1880.