Les saints
Comme au milieu des airs une blanche colombe,
Comme le grain d’encens qui parfume l’autel,
Comme un astre serein d’où la lumière tombe,
Ils ont passé, ces fils du Ciel !
Ils effleuraient du pied la surface du monde,
Mais leur souffle aspirait l’air d’un plus haut séjour ;
Leur aile en retombant ne se baignait qu’à l’onde
De l’éternel et pur amour.
Qu’ils étaient beaux, mon Dieu ! quand la foule pressée
Venait leur demander le pain de vérité ;
Quand leur front, élargi par l’austère pensée,
Se courbait dans l’humilité !
Quand ils brisaient du pied le socle d’une idole,
Que le peuple d’abord s’agitait furieux,
Et puis, s’agenouillant, saluait l’auréole
Qui resplendissait autour d’eux !
Mais si quelque tyran poursuivait de ses haines
Ces doux soldats du Christ, ces vainqueurs de l’enfer,
On les voyait joyeux livrer leurs mains aux chaînes
Et leur tête au tranchant du fer.
Puis, avant de mourir, leur bouche pour absoudre
Avait des mots divins, des accents tout nouveaux.
En étendant les bras, ils éloignaient la foudre
Prête à tomber sur leurs bourreaux !
Ils fuyaient les cités, portant aux lieux sauvages
Leur suppliante voix et leur âme de feu ;
Puis de la terre au ciel ils frayaient des passages
En consacrant les monts à Dieu.
Et les grands, et les rois, et les peuples sans nombre,
Fatigués du mensonge, accouraient à leur voix,
Comme un essaim d’oiseaux qu’on voit s’abattre à l’ombre
Du plus haut chêne de nos bois.
Car ils avaient en eux comme une source vive
Que ne tarissait pas le soleil du désert ;
Ils avaient, pour toute âme affamée et plaintive,
Un saint banquet toujours ouvert.
Vers le petit enfant, avec un cœur affable,
Des hautes vérités ils baissaient le flambeau ;
Et le pécheur touché cachait son front coupable
Dans les longs plis de leur manteau.
Un siècle vint pourtant dont la haine profonde
Insulta de nos saints la douce majesté.
On les traita de fous, ces conquérants du monde,
Ces géants de la charité !
Mais l’orage a passé sans ternir cette gloire ;
Vos ennemis, Seigneur, ont succombé partout :
Partout, sur vos autels, aux pages de l’histoire,
Vos élus sont restés debout.
Et nous les invoquons, nous, enfants de l’Église,
Inclinés devant eux, confiants et soumis.
Laissez-nous quelquefois baiser leur robe grise
Et leurs ossements endormis.
Laissez-nous écouter l’écho de leurs préludes
Sur les monts que jadis leurs pas ont traversés.
Laissez-nous respirer au fond des solitudes
Les parfums qu’ils nous ont laissés.
Lorsque sur nos cités s’amasse le blasphème
Comme un nuage obscur qui veut voiler les cieux,
De nos têtes, mon Dieu, détournez l’anathème :
Pardonnez-nous à cause d’eux !
Quand si pauvres de foi, si riches de misères,
Nous nous plaignons, hélas ! sans tomber à genoux.
Alors souvenez-vous qu’ils ont été nos frères,
Et qu’ils vous ont prié pour nous !
Marie JENNA,
Élévations poétiques et religieuses,
1880.