Prière d’un anxieux

Seigneur, c’est lourd de ne jamais connaître un seul moment de paix. De ne rien pouvoir entreprendre dont l’inquiétude ne fasse un supplice. Et de n’y rien pouvoir. Ou à peu près...

« Il faut vous raisonner... »

On me l’a dit cent fois. Si je le pouvais...

Seigneur, faute de mieux, je t’offre mes craintes et mes tourments.

Les lettres trois fois refaites, auxquelles il manque toujours quelque chose... La peur insensée du télégramme, quand ceux que j’aime partent en voiture... Le robinet du gaz dix fois vérifié, et la porte d’entrée inspectée chaque soir... La peur « que ce soit grave » lorsque j’ai mal à la tête...

Et les soucis du jour cent fois tournés et retournés, quand j’ai éteint la lampe...

* * *

Seigneur, qu’au moins je fasse ce que je peux pour sortir de ce monde déprimant de mes hantises et de mes rêves. Garde-moi de ces ombres, plus inquiétantes cent fois qu’un vrai danger.

J’ai besoin de courage, Seigneur. Pour résister à ce besoin insidieux de recommencer dix fois ce que je sais pourtant être bien fait du premier coup... Pour ne pas compulser le dictionnaire médical à la moindre migraine... Pour ne point retourner me confesser par peur de n’avoir point tout dit...

J’ai besoin de ton aide, Seigneur. Pour conquérir ma liberté au jour le jour. Pour arracher de toutes petites victoires à l’emprise de mes cauchemars.

* * *

Seigneur, j’ai besoin, dans ma nuit, de t’entendre dire : « Je suis là... Ne craignez point. » (Jean, VI, 20)

Lucien JERPHAGNON,

Prières pour les jours intenables, 1957.