Prière devant un budget de misère

 

 

 

Seigneur, je viens de faire mes comptes. Alors, il faut que je retrouve auprès de Toi un peu de paix et de calme. Un peu de dignité aussi.

 

Cette dignité que me rongent vingt ans de misérables calculs pour joindre les deux bouts.

 

Cette paix que me vole à chaque instant la peur de ne pas « y arriver » ce mois-ci.

 

Ce calme impossible à garder lorsqu’on voit fondre régulièrement un traitement « minimum » dans un budget calculé au plus juste.

 

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Seigneur, ce que je crains, ce n’est pas tellement la misère. Au fond, l’on arrive toujours à vivre tant bien que mal.

 

Ce dont j’ai peur, c’est de la déchéance. De la vraie.

 

Peur de ne plus penser qu’à l’argent, précisément parce que je n’en ai pas.

 

Peur de faire sans cesse des comparaisons faciles avec les autres, avec ceux qui en gagnent. Et cela, cent fois le jour, devant toutes les vitrines et tous les étalages.

 

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Seigneur, j’ai peur aussi de la jalousie. Et de dire, comme tant d’autres, avec un mauvais sourire : « Ils ont bien de la chance, eux... »

 

Peur de la haine, aussi.

 

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Et avec cela, Seigneur, j’ai découvert que je devenais avare. Sale petite découverte faite ce matin, et impossible à oublier.

 

C’est pourquoi, Seigneur, je Te parle de tout cela. Pour Te demander la grâce de la vraie dignité.

 

 

 

Lucien JERPHAGNON, Prières pour les jours intenables,

Éditions Ouvrières, 1957.

 

 

 

 

 

 

 

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