Rêve d’enfant
L’enfant repose dans sa couche ;
Il ferme ses yeux alourdis ;
Un doux sourire est sur sa bouche :
C’est qu’il rêve du paradis...
Il contemple bien des merveilles ;
Il peut voir le ciel jusqu’au fond :
Des chérubins et des abeilles,
Qui, joyeux, y dansent en rond.
Il voit des campagnes superbes,
Avec des papillons charmants ;
Des champs dorés, de blondes gerbes,
Aux épis pleins de diamants.
Tantôt il traverse un nuage,
Porté sur l’aile des zéphirs :
Tantôt il foule le feuillage
Semé de perles, de saphirs...
Tout le caresse à son passage :
Les oiseaux gazouillent son nom :
L’hirondelle lui dit : « Sois sage ! »
La fauvette lui dit : « Sois bon ! »
Il revoit sa vieille grand’mère
Parmi les saints et les élus ;
Un chérubin, qui fut son frère,
Le conduit aux pieds de Jésus...
Le doux maître est là sur son trône ;
Il a d’éblouissants habits,
Il porte au front une couronne
Dont les astres sont les rubis...
Il s’élève un murmure étrange,
Plein de mélodieux accords ;
Un chant suave : « Dors, cher ange !
Dieu te protège et veille, dors !
« Tout bénit ton heureuse enfance,
Repose-toi dans le Seigneur !...
Il fit le ciel pour l’innocence,
Comme le soleil pour la fleur...
« C’est ici que la joie habite ;
Reste, les anges t’aimeront !... »
L’enfant dans son berceau s’agite,
La sueur perle sur son front...
Il veut s’élancer dans l’espace :
Soudain la vision s’enfuit...
Le chant meurt... tout spectre s’efface
Avec les ombres de la nuit...
Cependant sa mère, inquiète,
Longtemps le couve du regard,
Puis, repose la jeune tête
Près de son cœur, vivant rempart...
L’enfant, qu’un doux baiser réveille,
Croit n’avoir fait qu’un rêve, hélas !
Mais quelqu’un lui souffle à l’oreille :
« Ta mère a le ciel dans ses bras ! »
Eugène JOËL.
Paru dans L’Année des poètes en 1895.