La femme forte
Lorsque l’Esprit-Saint voulut, par la voix de Salomon, prôner la femme forte et sage dans le monde, il ne dit point : Heureuse la femme qui se promène ; qui, pour tuer le temps, erre çà et là tout le jour ; qui, allant de salon en salon bavarder un moment, dégoûtée d’elle-même dégoûte les autres : peu soigneuse des affaires de sa maison, elle porte partout le poids de sa vie d’oisiveté. Cette femme ne vit pas selon l’esprit de Dieu.
« La femme qui fait connaître au loin tout son prix, c’est, nous dit Salomon, celle qui, après y avoir bien réfléchi, plante un champ ; qui, aidant son mari, l’enchante par sa grâce ; s’inquiète pour ses fils, s’inquiète pour ses domestiques, et n’oublie jamais les pauvres dans ses dons. Cette femme ne se venge jamais d’une injure offensante ; elle ne mange pas le pain de chaque jour sans travailler : et, d’un bras retroussé se serrant la ceinture, vaillante, elle balaie et enlève l’ordure des coins. La nuit, elle n’a pas de repos ; sa lampe ne s’éteint pas ; et, si elle parle, sa bouche, ordinairement muette, employant toujours le ton de la sagesse, ne s’ouvre que pour prononcer des paroles de douceur et de pardon. Heureux sont ses doigts que divertit un saint travail ; qui souvent font tourner le fuseau de la quenouille, et cherchent de la laine et du fil pour faire un vêtement, pour couvrir un pauvre être engourdi par le froid. Ses œuvres sont comblées d’éloges en public ; à sa vue, les siens se lèvent et se découvrent. La femme forte est donc un trésor précieux, l’honneur de ses fils, la gloire de l’époux ; elle verra venir sa fin avec joie ; contente, elle rira jusqu’à son dernier jour. »
Ainsi parle en son livre ce roi d’Orient qui en cette matière était expert et savant. Il paraît que de son temps son royaume en était avare, et qu’une femme sage était chose fort rare ; car, avant d’en tracer le portrait de sa main, il se pose à lui-même cette question : « Oh ! qui la trouvera ? »
Antoine JOFRE.
Traduit du catalan par Jean Amade.
Recueilli dans Anthologie catalane (1re série : Les poètes roussillonnais),
avec Introduction, Bibliographie, Traduction française et Notes
par Jean Amade, agrégé de l’Université, professeur au Lycée
de Montpellier, 1908.