La Vierge polonaise
CANTATE DÉDIÉE À Mme LA PRINCESSE DE PONIATOWSKA
De la Pologne exauce la prière,
De tes nobles martyrs sauve la nation ;
Relève enfin leur front courbé dans la poussière ;
Des oppresseurs, finis la persécution,
Ce peuple délaissé, pour toi veut être libre ;
Apprends aux souverains que loin de l’équité
Ils ne sauront jamais ni garder l’équilibre,
Ni fonder le bonheur avec la liberté.
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées,
Dans tous les temps tu fus le protecteur ;
Vois de tes fils les femmes désarmées,
De leurs vertus montre-toi le vengeur !
Les nations, dans les grâces voulues,
Sont, divin Aïssah ! l’œuvre de ton amour,
Leurs vocations par toi sont résolues ;
Par toi, de leur splendeur s’opère le retour.
Si dans chacune germe une profonde idée,
La Pologne soutient le droit, la vérité ;
Sa lourde croix de sang sur la route inondée,
Du Christ va rétablir la sainte liberté.
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
Le sort de l’une est de solder les crimes,
Des peuples, des Césars, évangélique exploit !
Et c’est aux Polonais, dont les efforts sublimes,
Accusent leur bourreau, qu’incombera ce droit....
C’est à nous que ton nom, Dieu ! voit là soutenues,
Pauvres femmes qu’un czar sut dépouiller de tout ;
Quand le tyran nous tient, nous laisse convaincues,
Du forfait qui flétrit son infâme verrou !...
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
De mon pays, si le sort est la tâche
Qui fait désespérer les reines et les rois ;
Si contre eux le droit crie et si la honte attache
La noire flétrissure au sceptre aux humbles toits,
Pour jeter la terreur dans l’âme d’Holopherne,
Et pour frapper au front et vaincre un Goliath,
Que du torrent la pierre, en sa cour le consterne,
Au slave un David rend le solennel vivat !
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
De nos tribus, les maux troublent le monde,
César, les bras croisés, verra-t-il tant d’horreur ?
L’esclavage a toujours laissé pour inféconde,
La terre où, pour moisson, naissent stériles pleurs.
Vois passer en volant des coupeurs de l’Ukraine,
Têtes blondes, tes fils, obliger leurs bourreaux
À fuir la Barbarie, où fulmine la haine
De ces persécuteurs outrageant les berceaux !
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
De ton sépulcre, ô nation cadavre !
Tu vas ressusciter aux coups de l’assassin....
Aux douleurs du martyr quel peuple ne se navre,
Quand des nassiers le czar avorte le dessein ?
L’âme du Polonais renaît crucifiée,
Et l’Europe, oubliant Varsovie et Smorgon,
Dans son morne égoïsme, ose être ossifiée !
Que fera de leur sang ce Tibère du Don ?
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
Proscrits de Plock, ardente et noble artère,
La guerre est un engrais qui fait germer la paix ;
La paix est une plante où se cueille la guerre ;
Le droit des gens se trouble en leur esprit anglais....
Mais comme le clairon qui t’appelle à la lutte,
Les pleurs, les cris d’un peuple à l’éternel exil,
Entraîné par le czar, tout par toi le culbute,
Nation qui jamais ne craindra le péril !
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
Guerre aux tyrans ! ils violent nos filles ;
Dans le sang des vieillards ils plongent nos enfants !
Mais c’est exterminer nos cités, nos familles !
Assez de nuits, grand Dieu ! les ont vu triomphants !
Des monstres qu’un seul jour dompte la frénésie !
Que les cris, que les pleurs de la tombe au berceau,
Sur ces vils escadrons lancent l’apoplexie !
Que des bris fumants naisse un rédempteur nouveau !
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
Laisseras-tu décimer tes lévites,
Le knout anéantir ta race de prélats ?
Suscite, Emmanuel ! aux nouveaux Maronites,
L’émir Karam, ce frère outragé de Damas.
N’est-ce pas pour ravir à cette délivrance,
De ta suppliciée un temps si précieux,
Que ces rois insulteurs veulent braver la France
Dont le saint Laborum rougit le front des cieux ?
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
Affreux Kalmoucks, qui ravagez la terre !
Les plaintes de nos sœurs, de monstrueux bourreaux,
Ont-elles arrêté l’ardeur atrabilaire,
Le fracas des gibets s’affaissant sous leurs os ?
Sont-ils en vain tombés ces martyrs plein de force,
Héros dont la valeur sert notre humanité ?
Non : leur gloire fleurit, bouton vert sous l’écorce,
Le dernier boulevard de notre chrétienté !
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
Cette fureur qui persécute Rome,
À l’autel massacra l’évêque Stanislas....
Le coupable ose-t-il s’arroger le nom d’homme ?...
Oh ! renais à la voix de Jean de Venceslas,
Pologne, ô ma patrie ! Oui, tu fus démembrée
Comme ton saint patron, du cadavre martyr
S’uniront les débris, et de ta chair sacrée,
Les lambeaux revivront aux vœux de Casimir....
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
Ô ma Pologne, au milieu de tes cendres
Si tu couches sanglante, un voisin trahira
Tes enfants révoltés et malgré les méandres
Où se perdent leurs cœurs, un czar t’opprimera ;
Malgré son cercle d’or, ta splendide colline
Sous les fers attendra sa puissance de Dieu.
Plus près de la tempête, à son souffle elle incline
Son front haut qui rougit son droit de franc-alleu.
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
De ta ruine, un nimbe de fumée
Enveloppe ton sol ; de tous leurs ornements,
Tes temples sont frustrés ; tu gémis, abîmée
Dans les pleurs, les forfaits ; mais les plus durs tourments
Sont subis par tes chefs. Sur eux, comme une grêle,
S’abattront les malheurs ; par Dieu, de leur orgueil,
La pierre s’usera ; puis, t’éveillant fidèle,
Comme un phénix, la gloire ouvrira ton cercueil.
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
Des Polonais, souveraine, ô Marie !
Soyez dans ces combats notre guide étoilé ;
À genoux, vos enfants, héros de la patrie,
Conjurent des Césars le crime dévoilé....
Nous hommes, devant vous, Impératrice aimée !
De si chers innocents implorons le salut !
Gardez de vos amis la tribu désarmée ;
Du triomphe, ils sauront vous offrir le tribut.
CHŒUR
Dieu tout-puissant ! Des tribus opprimées, etc.
JOHANNIS (DE L’AIN).
Paru dans Les voix poétiques en 1868.