Les beaux vers sont innés
Le, beaux vers sont innés : ils sont en traits de flamme
Mystérieusement inscrits au fond de l’âme.
Le poète est celui qui, de ses yeux perçants,
Déchiffre, épelle et lit ces mots phosphorescents,
Qui sous les taches d’encre et les viles surcharges,
Sous les gloses, glissant hors du cadre des murges,
Sous les ratures, sous l’absurde et vain fatras
D’un scribe, inepte et sot à vingt-quatre carats,
Conjecture, aperçoit, retrouve ce qui reste
D’intact, ou presque intact, du divin palimpseste.
Page blanche jadis ! lilial parchemin !
Dieu lui-même traça de son auguste main
Sur les feuillets de l’âme un poème invisible.
– L’âme n’est-elle pas une vivante Bible ? –
Et quand nous écrivons nous-mêmes, à tâtons,
C’est ce texte sacré que nous interprétons.
Créer, faire de rien ou l’idée ou l’atome
Est un pouvoir que Dieu n’accorda pas à l’homme
Nous retrouvons en nous le Vrai, le Bien, le Beau :
À peine à la lueur d’un vacillant flambeau
Pouvons-nous distinguer le diamant du verre.
Le poète inspiré n’est au fond qu’un trouvère.
Et c’est pourquoi les vers qui nous viennent du ciel
Ont quelque chose en soi de providentiel,
D’impersonnel, de fier, de grand, d’impérissable.
Les vils jongleurs de mots écrivent sur le sable,
Mais les vers dont la source est placée hors du temps,
N’ont pas à redouter ses assauts insultants.
Dieu qui les a conçus et couvés sous son aile
Leur a communiqué son essence éternelle.
Oh ! quels transports de· joie et quels ravissements
Lorsque nous rencontrons l’un de ces diamants,
Et que, l’ayant extrait de son impure gangue,
Nous pouvons l’enchâsser aux mots de notre langue !
Ainsi le statuaire est prêt à défaillir,
Lorsqu’il sent, en taillant le marbre, tressaillir,
Sous les contours discrets d’une veine bleuâtre,
Le chef-d’œuvre que Dieu déposa dans l’albâtre.
Michel JOUFFRET, Poèmes idéalistes.
Recueilli dans les Suppléments à l’Anthologie
des poètes français contemporains, 1923.