Inconséquence du goût
et de la critique des hommes
qui reprochent aux femmes
ce qu’ils ont provoqué
Hommes sots qui condamnez
À tort la femme, sans voir
Que vous êtes l’occasion
De la faute reprochée,
Vous qui prenez tant de peine
À mériter son dédain.
Pourquoi les vouloir parfaites
Quand vous les menez au mal ?
Vous usez leur résistance,
Après quoi, le maintien grave,
Vous nommez incontinence
Ce qui coûta tant d’efforts.
Votre jugement hardi
Est vaillant comme l’enfant
Qui dresse l’épouvantail
Et soudain s’en épouvante.
Infatués, qui cherchez
En celle que vous aimez
Thaïs quand on la supplie
Quand elle est tombée, Lucrèce.
Ô vaine humeur incongrue
De celui qui, follement,
Lui-même embue son miroir
Pour en regretter l’éclat !
Les faveurs ou le refus,
Rien ne peut jamais vous plaire :
Vous criez quand on résiste
Vous vous riez quand on cède.
Nulle femme n’atteindra
Gracieuse renommée
Si elle consent : lascive !
Si elle résiste : ingrate !
Car telle est votre sottise
Que d’inégale manière
Vous blâmez une cruelle
Vous blâmez une légère.
Quelle sera la mesure
Qui fait pencher votre amour
Si dédaigneuse, elle offense
Et légère, elle vous fâche ?
Entre souci et ennui
Où votre goût vous conduit
Avisée, qui ne vous aime
Et plaignez-vous à la lune !
Vous affrontez mille peines
Pour donner aile aux licences
Les ayant rendues mauvaises,
Vous les voulez angéliques.
À qui la plus grande faute
Dans une passion coupable
À qui, priée, faiblissait,
Ou qui priait de faiblir ?
Oh ! qui faut-il accuser,
Quel que soit le mal commis,
Qui pèche pour les deniers
Ou qui paie pour pécher ?
Pourquoi donc vous effrayer
D’un mal par vous inspiré ?
Aimez celles que vous fîtes
Ou faites-les autrement.
Cessez donc de les tenter
Et vous aurez meilleur droit
De dénoncer les faiblesses
De qui viendra vous prier.
Que d’armes votre arrogance
N’a-t-elle pas pour lutter
Car votre instance ou promesse
Chair et monde et diable unit.
Sœur JUANA INÈS DE LA CRUZ.
Traduit par E. Noulet.
Recueilli dans Anthologie de la poésie ibéro-américaine,
Choix, introduction et notes de Federico de Onis,
Collection UNESCO d’œuvres représentatives, 1956.