Au puits de Jacob
FRAGMENT
Ton cri rappelle en vain les délices lointaines,
Ombres déjà fondues aux ombres de la nuit,
Dont le rire agonise au bord de mes fontaines.
Pourquoi tendre la lèvre au poison qui te fuit ?
La voix qui te retient n’a pas versé de charmes :
Pourtant l’eau qui devait avant la fin du jour
Rendre à ton cher vainqueur de triomphantes armes
S’attiédit au soleil et raille ton amour !
Pour qu’un voile de songe aujourd’hui se déchire
Regarde, il n’a fallu que le miroir de l’eau :
Au fond danse déjà comme un joyeux navire
Ton visage voué à l’or du Renouveau.
Ô visage natal, vivant reflet du Père,
Les souffles sans honneur ne t’ont pas obscurci.
Efface, pour fleurir en ta splendeur première,
Le masque d’ombre et les ravages du souci.
Va ! Ton amant s’étonne et va pleurer l’absente,
Mais l’ardente blessure où ton cœur s’est éclos
Vers un plus beau vertige à son tour l’oriente :
Il trouvera l’Amour à la porte de l’eau.
Vent sur ma face ! Ô doux envol qui me retire !
Les printemps que j’aimai me sont morte-saison.
Oui, les bonds de mon être appelaient Ton délire.
Frappe ! le bleu redouble à l’appel du rayon.
Ô Verbe, quel désert succède à Ta présence !
Ô n’avoir pu mourir quand mon cœur t’écoutait !...
Quand cesseront les douloureuses confidences
De l’aveugle qui parle au Voyant qui se tait ?
Mais le désert s’éveillera sous Ton aurore
Car l’eau de Ta promesse a des flots éternels.
Sans regard et sans voix Tu me parles encore
Et j’attends Ton retour, et j’attends Ton appel.
Pénètre-moi, glaive du Verbe, tranche, élague,
Jonche de fleurs de sang la grève où j’ai rampé
Pour que j’offre à l’Amour quand Il viendra frapper
Le doux sable du cœur après les grandes vagues.
Henry de JULLIOT
Extrait de Cadran Solaire, prix Interfrance de poésie, C.E.L.F.