Un rêve
Voici, – j’ai fait un rêve étrange
Et mon cœur s’est empli d’orgueil :
J’avais des ailes, comme un ange,
Et je dormais dans mon cercueil.
Mes mains froides étaient mouillées
Des larmes d’un sincère émoi,
Et des femmes agenouillées
Dans l’ombre, hélas ! priaient pour moi.
Mais, silencieuse et ravie,
Rêvant à l’abri des douleurs,
Je ne regrettais pas la vie
Et souriais près de mes fleurs.
Avant d’aller au cimetière,
Celui que j’aime pour jamais
M’a dit, courbant sa tête altière :
« Pourquoi mourir quand je t’aimais ? »
Mon cœur, chantant la délivrance,
Sous le linceul se soulevait ;
J’ouvris mes bras à l’espérance
– Et me dressai sur mon chevet.
Le réveil est une infortune
Quand, après un rêve trop beau,
On étreint un rayon de lune
En ressuscitant du tombeau.
Comme un oiseau, le temps s’envole :
Je dois attendre, désormais,
Qu’on me rende cette parole
Ou le cercueil où je dormais.
Isabelle KAISER.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.